Publié le 14 avril 2017
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Tribunal Monsanto : à quoi le procès citoyen de la multinationale va-t-il servir ?
Le tribunal Monsanto rendra son jugement mardi 18 avril. L’exercice est inédit : juger la multinationale de l’agrochimie pour l'ensemble de son activité, en vertu du droit international. Ce tribunal citoyen, qui n'est pas officiel mais qui compte en son sein de vrais juges, a une vocation pédagogique. Mais pas seulement. Les initiateurs du procès comptent bien faire bouger le droit sur l'écocide (destruction de l'environnement) et fournir une argumentation juridique aux victimes.

© Monsanto Tribunal
Le 18 avril, le tribunal Monsanto rendra enfin son jugement. Les 15 et 16 octobre derniers, sont venus à la barre vingt plaignants, leurs avocats et une trentaine de témoins et d'experts venus du monde entier. Les juges doivent maintenant se prononcer : la multinationale de l’agrochimie a-t-elle violé les droits à la santé, à l’alimentation ou à un environnement sain ?
Ce tribunal citoyen – ou tribunal d'opinion – n’est pas une juridiction internationale reconnue, comme par exemple la Cour pénale internationale. Son avis est seulement consultatif. Mais il est rendu par de vrais juges, en vertu du droit international (le droit international obligatoire et les principes directeurs des Nations unies sur la responsabilité des entreprises).
Le tribunal colle aux standards des Nations unies
C'est la première fois que Monsanto est jugé pour l'ensemble de son activité. La firme de Saint-Louis n'est cependant pas étrangère aux tribunaux d'opinin.
Le premier du genre était le tribunal Russell-Sartre, fondé en 1966 par Bertrand Russell et Jean-Paul Sartre, pour juger les crimes de guerre des États-Unis au Vietnam. Monsanto faisait déjà partie du décor puisque la compagnie a produit l'agent orange, le puissant et très toxique défoliant utilisé par l'armée américaine au Vietnam.
Rebelote en 2009 à Paris. Un nouveau tribunal international d’opinion en soutien aux victimes vietnamiennes de l’agent orange condamne symboliquement les États-Unis et les firmes américaines impliquées dans la production de l'herbicide. Ce qu'aucun tribunal officiel n'a pu faire à ce jour.
À quoi va servir ce nouveau tribunal qui n'a pas vocation à sanctionner ? Catherine Le Bris-Hervé, chercheuse au CNRS, rappelle la portée symbolique du tribunal Monsanto, composé de juges de stature internationale. Sa présidente, la Belge Françoise Tulkens, a été juge à la Cour européenne des droits de l’Homme pendant quatorze ans. Le choix de juges originaires de différentes régions du monde colle aussi aux standards de représentativité géographique des Nations unies.
Faire évoluer le droit sur l'écocide
"Le tribunal Monsanto est comparable au Tribunal permanent des peuples (TPP), qui a joué un rôle dans l'évolution du droit", explique la juriste. De 1976 à 2010, le TPP s’est penché sur de nombreux cas. "Cette justice alternative a contribué à la déclaration sur les droits des peuples autochtones", selon Catherine Le Bris-Hervé.
Avec le tribunal Monsanto, l'enjeu est de faire évoluer le droit international sur l’écocide (destruction de l'environnement), en reformant la CPI pour qu'elle soit compétente pour juger ce crime. Aujourd'hui, la CPI peut juger des dommages à l'environnement, mais à la condition qu'ils soient perpétrés dans le cadre d'un conflit armé ou de crimes contre l'Humanité.
"Le tribunal Monsanto sert aussi à fournir une argumentation juridique aux victimes qui voudront saisir la justice de leur pays", explique Catherine Le Bris-Hervé. Un soutien de poids lorsqu'on connait en face l'arsenal juridique très efficace déployé par la multinationale.
"L'avis que nous rendrons sera adressé à Monsanto et aux instances des Nations Unies, assure la juge Françoise Tulkens, ancienne vice-présidente de la Cour européenne des droits de l'Homme et présidente du panel des juges du Tribunal Monsanto. A partir de cet avis, d'autres juridictions pourront peut-être être saisies et d'autres juges interviendront".