Publié le 19 décembre 2017

GOUVERNANCE D'ENTREPRISE

Lafarge soupçonné de faire entrave à la justice

Sous le coup d’une enquête pour "financement d’une entreprise terroriste" et "mise à en danger de la vie d’autrui", le cimentier français Lafarge aurait-il des choses à cacher, des éléments à faire disparaître ? D’après l’ONG Sherpa, qui s’est portée civile dans ce dossier et défend 11 anciens employés syriens de l’usine, le cimentier "ment quand il affirme pleinement collaborer avec les enquêteurs".

Lafarge est soupçonnée par l'ONG Sherpa de faire entrave à la justice dans l'enquête ouverte contre le groupe pour financement du terrorisme
Franck Fife/ AFP

Le groupe Lafarge cache-t-il des éléments à la justice dans l’enquête ouverte pour "financement d’une entreprise terroriste" ? C’est en tout cas ce que pense l’ONG Sherpa, qui s’est portée partie civile dans le dossier.

Avant la perquisition menée au siège de LafargeHolcim à Paris, les 14 et 15 novembre dernier, les ordinateurs "ont été passés à l’eau de javel". Et deux des six personnes mises en examen dans cette affaire ont fait état de "propositions d’accord du groupe soit pour  acheter leur silence, soit devancer les interrogations qui pourraient leur être soumises", affirme ainsi Marie Dosé, avocat de l’ONG Sherpa qui demande l’ouverture d’une enquête pour "entrave à la justice".

Des accusations qui rejoignent indirectement le constat des juges d’instruction, qui pilotent l’enquête depuis juin. "Des éléments essentiels ne se trouvaient plus au siège lorsque la perquisition a été effectuée", assure à l’AFP une source proche du dossier.

"Nous contestons fermement que la société ait cherché à resteindre de quelque manière que ce soit le droit de ses employés ou ex-employés de se défendre dans une procédure judiciaire ou leur capacité à coopérer", se défend Lafarge. Qui assure que "des milliers de pièces ont été remises aux juges" et rappelle que le groupe a « tenu à diligenter une enquête qui a été menée par des experts indépendants

13 millions d’euros versés aux groupes terroristes

L’ONG révèle également la somme versée aux organisations terroriste, dont l’organisation Etat islamique. Entre 2012 et 2014, la filière syrienne de Lafarge aurait versé environ 5,6 millions de dollars (4,8 millions d’euros) à différentes factions armées, dont plus de 500 000 dollars à Daesh, d’après un rapport de Baker McKenzie rédigé à la demande Lafarge.

Sur une période plus large (2011-2015), la somme de ces versements (taxes pour assurer le passage des employés, achat de matières premières dont du pétrole, etc.) avoisinerait les 13 millions d’euros, selon une seconde étude, rédigée par un cabinet d’expertise comptable missionné en interne.

Déterminer les responsabilités 

Reste à savoir qui était au courant et qui pilotait ces manœuvres. Depuis le début du mois, six cadres de Lafarge ont été mis en examen: deux anciens directeurs de la filiale syrienne et un directeur de la sûreté du groupe. Mais aussi des cadres de la maison-mère : l'ex PDG, le DRH de l’époque et un ancien directeur opérationnel.

Les enquêteurs cherchent à déterminer si la direction française de Lafarge était au courant du pacte conclu entre sa filiale syrienne et Daesh. Les contradictions entre les trois responsables français sont nombreuses. Christian Herrault, ex-directeur général adjoint, affirme ainsi que l’ancien PDG Bruno Lafont était "régulièrement informé" de la situation mais l’ex-PDG dément avoir eu connaissances de tels faits.

"La frilosité des autorités françaises"

Au-delà de Lafarge, l’ONG Sherpa demande aussi à ce que les investigations fassent la lumière sur ce que savaient les autorités françaises de l’époque. Son président William Bourdon s’interroge même "sur la frilosité, la complaisance, voire la complicité" des autorités françaises.

Entendus par les enquêteurs, des responsables de Lafarge auraient affirmé que la décision de se maintenir en Syrie avait reçu l’aval du ministère des Affaires étrangères. Eric Chevallier, l’ex-ambassadeur de France pour la Syrie, a cependant démenti avoir rencontré les dirigeants de Lafarge après la fermeture de l’ambassade en 2012. "Leur demander ou les inciter à rester était contraire aux consignes, je ne leur aurais jamais dit ça", a-t-il assuré, d’après la source proche du dossier.

Par ailleurs, dès septembre 2014, soit peu de temps avant que Daesh prenne le contrôle du site et que le cimentier arrête l’activité de son usine, plusieurs télégrammes diplomatiques à destination de la direction générale du Trésor faisaient état de la situation de Lafarge en Syrie. Or "il a fallu attendre un article dans Le Monde près de deux ans plus tard pour qu’une enquête soit ouverte", déplore Marie Dosé, avocate de l’ONG.

"Qui nous dit qu’entre-temps, une partie de l’argent versé à Daesh n’a pas servi à financer un attentat en France ?"

La rédaction avec AFP


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