Publié le 29 août 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Hawaï : le principal fournisseur d’électricité accusé d'avoir provoqué les feux meurtriers
Quelle est la responsabilité d'Hawaiian Electric, le fournisseur d'électricité hawaïen, dans l'incendie le plus meurtrier des États-Unis qui a ravagé l'archipel début août ? C'est ce que devront trancher les juges. Le comté de Maui a porté plainte contre l'entreprise, l'accusant d'avoir agi avec négligence. Des investisseurs se sont joints à cette plainte, et les principales agences de notations ont dégradé la note de l'entreprise, confrontée de plein fouet aux risques physiques du changement climatique.

@Hawaiian Electric
Alors que les recherches se poursuivent pour retrouver les centaines de disparus après les incendies qui ont ravagé Hawaï, entre les 8 et 9 août derniers, le comté de Maui a annoncé jeudi 24 août qu’il portait plainte contre le principal fournisseur d’électricité de l’archipel, Hawaiian Electric. Les autorités locales estiment que l’entreprise a "agi avec négligence en omettant de mettre hors tension ses équipements électriques malgré un avertissement de drapeau rouge du National Weather Service le 7 août", peut-on lire dans un communiqué de presse.
Le service météorologique américain avait en effet lancé une alerte rouge incendie à cause des vents violents nourris par l’ouragan Dora, qui déferlait dans le Pacifique à quelques centaines de kilomètres de l’archipel. Les lignes électriques sous tension tombées sur l’herbe et les broussailles, soumises à une extrême sécheresse, auraient provoqué les incendies, selon le comté. La plainte pointe également "le manque d’entretien du système et du réseau électrique, qui a provoqué des défaillances systémiques déclenchant trois incendies différents le 8 août".
La coupure de courant préventive, un dilemme
Hawaiian Electric n’a pas tardé à réagir, déplorant que le procès intenté contre elle par le comté de Maui était "irresponsable d'un point de vue factuel et juridique". L’entreprise reconnaît que le premier des trois incendies, survenu tôt le matin, "semble avoir été provoqué par des lignes électriques tombées sous des vents violents". Mais elle précise que "le service d'incendie du comté de Maui a déclaré qu'il était maîtrisé à 100%".
Lorsque le deuxième incendie s’est déclaré vers 15 heures dans la même zone, Hawaiian Electric assure que "toutes les lignes électriques à West Maui étaient hors tension depuis plus de six heures" et que "la cause de l’incendie dévastateur de l’après-midi n’a pas été déterminée". "Nous avons été surpris et déçus que le comté de Maui se soit précipité devant les tribunaux avant même de terminer sa propre enquête", a déclaré dans un communiqué Shelee Kimura, la dirigeante d’Hawaiian Electric.
Dès le 14 août, l’entreprise avait également justifié la non coupure préventive du courant, après l’alerte rouge aux vents violents, par le fait que "l’électricité alimente les pompes qui fournissent l’eau" et que "d’éventuelles coupures de courant pouvaient aussi être dangereuses pour les personnes âgées ou malades". Un dilemme difficile à trancher, mais qui risque de coûter cher à l'entreprise. Hawaiian Electric fait l’objet de plusieurs actions en justice, outre celle du comté, de la part d’habitants de Lahaina, la principale ville du comté de Maui, ravagée par les flammes, et de certains de ses propres actionnaires, qui l’ont accusée de fraude.
S&P dégrade la note d'Hawaiian Electric
Face à ces menaces juridiques, l’action d’Hawaiian Electric a dégringolé en Bourse, perdant un tiers de sa valeur, quelques jours seulement après les incendies considérés comme les plus meurtriers des États-Unis depuis plus d'un siècle, avec un bilan encore provisoire faisant état de 115 morts. Le 25 août, au lendemain de la plainte déposée par le comté de Maui, Standard and Poors a abaissé la note de Hawaiian Electric et de toutes ses filiales de "BB-" à "B-". L'agence de notation s'attend à ce que les dommages puissent dépasser l'évaluation initiale de 5,5 milliards de dollars faite par l'Agence fédérale américaine de gestion des urgences. Moody's et Fitch avaient également rétrogradé Hawaiian Electric au statut de produit indésirable au début du mois.
Mais le cas d’Hawaiian Electric n’est pas isolé. Il est malheureusement commun à tous les fournisseurs d’électricité confrontés aux risques physiques du changement climatique. L’entreprise dénombre 60 000 poteaux électriques, pour la plupart en bois, que ses propres documents décrivent comme construits selon "une norme obsolète des années 1960", et qui approchent de la fin de leur durée de vie prévue. "Nous avons mis en œuvre une stratégie de résilience pour relever ces défis et depuis 2018, nous avons dépensé environ 950 millions de dollars pour renforcer et durcir notre réseau et environ 110 millions de dollars pour les efforts de gestion de la végétation", explique la société.
Le risque incendie, renforcé par le changement climatique, pèse comme une épée de Damoclès sur les fournisseurs d'électricité. En 2019, une autre compagnie américaine, PG&E, avait déclaré faillite et plaidé coupable de 84 chefs d’accusation d’homicide involontaire, après que certains de ses équipements mal entretenus ont provoqué des énormes feux de forêt en Californie faisant 86 morts et détruisant 14 000 maisons. Il s’agissait alors de la première faillite liée au changement climatique, mais certainement pas la dernière.