Publié le 01 septembre 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
"Tout ça pour 60 euros la journée" : Des salariés sans-papiers accusent Veolia de travail illégal à Paris
Les manquements à la loi sur le devoir de vigilance ne se produisent pas qu'à l'autre bout du monde. C'est en région parisienne que Veolia, mais aussi Suez ou encore Paprec, sont accusés d'avoir fait travailler des sans-papiers, via une entreprise sous-traitante peu scrupuleuse. Depuis le 28 août, ils font bloc devant un centre de tri parisien. Novethic est allé à leur rencontre.

@CA
Ismail, Aïcha, Amine, Mustapha, Ahmed… Ils sont 11 travailleurs sans papiers à vouloir faire entendre leur voix et valoir leurs droits. Depuis lundi 28 août, ils occupent un centre de tri exploité par Veolia dans le 15e arrondissement de Paris, pour dénoncer les conditions de travail de l’entreprise NTI, sous-traitante pour le géant des déchets. De quoi entacher l’image de bonne élève généralement attachée à Veolia, notamment en matière d’action climatique. Mais les coulisses sont apparemment moins verdoyantes.
"J’ai travaillé pendant deux ans et demi pour NTI sans contrat dans des usines comme celles-ci. Mais pour nous, les cadences sur le tapis de tri n’étaient pas les mêmes que pour les salariés de Veolia, elles étaient multipliées par quatre. Il n’y avait pas de pause. Le chef d’équipe nous hurlait 'il faut nager dans la poubelle'. Il nous prévenait que si on ne tenait pas le rythme, il n’y aurait plus de travail. Tout ça pour 60 euros la journée", nous raconte Amine, 23 ans, venu du Maroc comme la plupart de ses collègues. Il raconte aussi les humiliations, les insultes et les fausses-promesses d’être un jour CDIsé.
"Nous lèverons le camp quand nous aurons une promesse d’embauche en CDI"
"NTI fonctionnait comme une entreprise de fourniture de main d’œuvre à faible coût : les sans-papiers étaient appelés en remplacement de salariés en CDI, en cas de surcroît d’activité mais également pour pourvoir à des postes permanents, détaille la CGT, qui accompagne ces travailleurs depuis plusieurs mois. Ils étaient détachés sans contrat de mission, sans durée de travail préétablie, ne bénéficiant pas de la rémunération et des conditions de travail garantis par la Convention nationales des activités du déchet".
À force d’entêtement, Amine parvient finalement à décrocher un contrat de fin de chantier (CDI-C). Quand NTI est liquidée brutalement en mai dernier, après une enquête de l’inspection du travail, il perçoit des indemnités. Mais sa collègue Aïcha, elle, n’a pas eu cette "chance". Elle fait partie des premiers salariés à avoir travaillé pour NTI. "Mes autres collègues femmes, qui se maquillaient et étaient plus apprêtées avaient réussi à décrocher un contrat de travail. Mais moi on me disait que je n’étais pas assez belle et que je ne parlais pas français", raconte la Marocaine de 37 ans, qui vit sur ses économies depuis le début de l’année.
Toute la semaine, elle s’est rendue sur le site de Veolia pour faire bloc avec ses collègues. Elle espère être embauchée par Veolia et régularisée. Pour l’instant, les négociations sont en cours. "Nous lèverons le camp quand nous aurons une promesse d’embauche en CDI, avec reprise d’ancienneté, rappels de salaire et indemnités pour le préjudice subi", précise à Novethic Ali Chaligui, coordonnateur syndical CGT Veolia Propreté. Des entretiens étaient prévus ce vendredi matin. "Chaque situation individuelle sera étudiée" confirme Veolia, interrogé par Novethic.
"Il y a eu un grave manquement à l'obligation de vigilance"
Le groupe assure par ailleurs ne pas avoir été au courant des agissements de NTI et les condamne. "Nous avons arrêté de travailler avec eux dès janvier 2022, dès que nous avons détecté des éléments d’incohérence dans leurs réponses", nous explique une porte-parole. Le groupe assure appliquer "la plus stricte vigilance aux conditions d'exécution de l'ensemble de ses contrats de sous-traitance" et demander régulièrement "des attestations de vigilance de l'Urssaf et la liste des salariés étrangers". "Mais nous ne pouvons pas disposer des documents d’identité de tous les salariés de NTI, intervenant sur nos sites", se justifie la porte-parole.
Pour Maître Katia Piantino, avocate des travailleurs sans-papiers, citée par l’AFP, l’entreprise aurait dû se montrer plus vigilante. "Il y a eu un grave manquement à l'obligation de vigilance. Le Code du travail est très clair dans le cadre d'une sous-traitance, le donneur d'ordre doit vérifier que son sous-traitant ne fait pas de travail dissimulé, et n'emploie pas de travailleurs étrangers sans titre de travail." Selon les travailleurs sans-papiers interrogés, les chefs d’équipe Veolia étaient tout à fait au courant de leur situation. "Ici on se connaît tous", assure Amine en saluant des salariés sortant du centre de tri.
Une requête a été déposée contre NTI mais aussi contre les donneurs d’ordres. Au-delà de Veolia, l’entreprise NTI travaillait pour d’autres grandes entreprises à l’instar de Suez ou encore Paprec. Contactées par Novethic, ces entreprises n'ont pas donné suite à nos demandes. Quant à NTI, après sa liquidation, une partie de ses dirigeants ont fondé une autre entreprise, AR Environnement, avec de nombreux anciens travailleurs sans-papiers de NTI. La nouvelle entreprise est elle aussi spécialisée dans le traitement des déchets, signe que la filière est florissante.