Publié le 18 septembre 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Bois illégal : Pour la première fois, deux entreprises françaises condamnées pour manquement à leur obligation de diligence
Deux entreprises françaises spécialistes du bois, le groupe ISB et la société Pierre Robert, viennent d'être condamnées pour avoir importé du bois coupé illégalement au Brésil. Elles ont ainsi manqué à leur obligation de diligence imposée par le règlement européen sur le bois. Une première qui pourrait faire des émules.

Marizilda Cruppe / Greenpeace
C’est une décision inédite. Pour la première fois en France, deux entreprises importatrices de bois ont été condamnées au pénal pour manquement à leur obligation de diligence raisonnée dans le cadre du règlement sur le bois de l’Union européenne (RBUE). Celui-ci a été mis en place en 2013 pour lutter contre l'exploitation forestière illégale et notamment la déforestation.
Les opérateurs européens (importateurs, exploitants forestiers, scieries, négociants etc.) doivent évaluer précisément les risques d’illégalité et prévoir des mesures d’atténuation des risques, en adaptant ces mesures en fonction par exemple du niveau de risques de la zone et du profil des entreprises impliquées dans la chaîne. Or depuis 2013, Greenpeace a signalé de nombreux chargements de bois illégal en provenance principalement de la République démocratique du Congo et du Brésil.
Déconnexion des importateurs
Au Brésil, l’ONG s’est appuyée sur les travaux de l’université de San Paolo qui ont montré que 77% des inventaires forestiers de l’état du Para, entre 2013 et 2017, présentaient des volumes d’ipé, un bois précieux rare présent dans les forêts tropicales, bien supérieurs aux niveaux naturels maximums probables. Greenpeace Brésil a effectué une analyse de toutes les autorisations d’exploitation et réalisé des inspections de terrain. Elle a pu à son tour démontré que le manque de contrôle dans cette région permet aux ingénieurs forestiers de surévaluer les volumes de bois disponibles à la coupe afin d’obtenir des crédits forestiers. Ces-derniers sont ensuite utilisés pour "blanchir" le bois récolté illégalement dans des zones protégées.
Greenpeace a notamment pu tracer des bateaux approvisionnant deux entreprises françaises et démontrer qu’ils transportaient du bois coupé illégalement. Rejointe par France Nature Environnement et Canopée, elle a porté plainte en 2019. Après des enquêtes menées par la police judiciaire de Rennes, la gendarmerie de La Châtre, avec l’assistance de l’Office Français de la Biodiversité, qui ont donné lieu à un renvoi devant le juge, les décisions viennent de tomber successivement. Le tribunal correctionnel de Châteauroux (Indre) a condamné le 6 septembre dernier l’entreprise Pierre Robert à une amende de 20 000 euros. Puis le 11 septembre, le tribunal correctionnel de Rennes a lui aussi condamné l’entreprise ISB, "leader français des produits et solutions bois pour l’habitat et la construction" à une amende de 100 000 euros.
"Dans ces deux affaires, les juridictions ont été témoins de la 'déconnexion' des importateurs avec les risques environnementaux de leurs propres produits. À plusieurs reprises, aussi bien ISB France que Pierre Robert, ces sociétés ont affirmé ne pas être exploitants forestiers. Cette absence de conscience environnementale témoigne d’un degré de négligence particulièrement grave", ont réagi les ONG dans un communiqué. "D’autant que les dirigeants ont soutenu lors des audiences que le Brésil n’était pas un pays à risque", ajoute Laura Monnier, responsable juridique chez Greenpeace France, interrogée par Novethic, qui pointe également la responsabilité de l’État et des organismes certificateurs.
Inquiétudes sur l'application du règlement sur la déforestation importée
Du côté des entreprises condamnées, le groupe ISB, contacté par Novethic, "réaffirme avec force ne pas avoir commis de violation de la loi" et indique faire "immédiatement appel de la décision". Également contactée, la société Pierre Robert n’a pas donné suite. Lors de l’audience, relatée dans Le Monde, son représentant légal Bertrand Robert indiquait : "On importe un produit manufacturé dont le RBUE nous demande de vérifier l’origine par voie documentaire, ce qu’on a fait (…) Mettre le risque à zéro est compliqué, l’Etat du Para, c’est deux fois la France, on ne peut pas avoir un regard sur tout…"
Pour Laura Monnier, ces décisions sont en tout cas une bonne nouvelle pour l'environnement "car elles montrent que le juge peut jouer un rôle central là où l’État et les organismes professionnels ont failli, et que la diligence raisonnée c’est du cas par cas, en fonction de la zone et des produits concernés. On ne peut pas se contenter de simples documents quand il y a un soupçon de risque". Ces condamnations s’inscrivent en outre dans un contexte particulier avec l’entrée en vigueur du règlement sur la déforestation importée qui impose les mêmes obligations que le RBUE à de nombreux produits (café, cacao, huile de palme, soja…). "Pour que ce ne soit pas que de la paperasse supplémentaire, l’État va devoir mettre les moyens", alerte la juriste.
Greenpeace milite ainsi pour la création d’une autorité administrative de régulation indépendante afin de ne pas répéter les mêmes erreurs qu’avec le RBUE. "Compte tenu de l’échec de l’application du règlement bois par la France du fait du manque d’indépendance et de moyens des autorités en charge des contrôles sur les importateurs, la future organisation de l’application du règlement déforestation sera dans les radars de la société civile et des instances européennes", prévient l’ONG. Ces condamnations inédites montrent l’ampleur du travail qu’il reste à faire au sein des entreprises pour qu’elles intègrent pleinement la notion de "diligence raisonnée".