Publié le 23 février 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
BNP Paribas assignée en justice sur son devoir de vigilance : vers un procès climatique historique
C’est le premier contentieux climatique au monde à viser un acteur bancaire. Trois ONG - Les Amis de la Terre France, Oxfam France et Notre affaire à tous – assignent BNP Paribas en justice ce jeudi 23 février pour non-respect de la loi sur le devoir de vigilance et pour sa responsabilité dans la crise climatique. La banque fait, elle, valoir ses objectifs de réduction de financement aux énergies fossiles.

@Flickr / Laurent Vincenti
La menace planait, les ONG l’ont mise à exécution. Après avoir mis en demeure la première banque française, le 26 octobre dernier, Les Amis de la Terre France, Oxfam France et Notre affaire à tous sont passés à l’étape supérieure en assignant, ce jeudi 23 février, BNP Paribas devant le tribunal judiciaire de Paris pour non-respect de la loi sur le devoir de vigilance. Il s’agit ainsi du premier contentieux climatique au monde visant un acteur financier. "Le premier d’une longue série", préviennent les ONG alors qu’on estime à plus de 2 000 les contentieux climatiques dans le monde contre des États ou des entreprises.
"La loi française sur le devoir de vigilance impose aux multinationales de tous les secteurs une obligation d’agir pour protéger les droits humains et l’environnement, et ce de manière effective. Or, le secteur financier a une responsabilité énorme dans notre capacité collective à respecter ou non l’Accord de Paris", explique dans un communiqué Justine Ripoll, responsable de campagne pour Notre Affaire à tous. Ce que demandent très concrètement les ONG, c’est que BNP Paribas cesse tout soutien financier à l’expansion de nouveaux projets fossiles et qu’elle exige un plan de sortie des fossiles de ses entreprises clientes.
BNP Paribas préfère "la voie du dialogue"
"Les ONG engagent la voie contentieuse plutôt que la voie du dialogue, ce que nous regrettons", regrette de son côté BNP Paribas qui affirme à Novethic être convaincue que "la transition écologique est le seul chemin viable pour l'avenir de nos économies". Quelques jours avant l’échéance de mise en demeure, la banque avait pris de nouveaux engagements sur le pétrole et le gaz, le charbon faisant déjà l’objet d’une exclusion depuis 2020. BNP Paribas se fixe pour objectif de réduire de 30% ses encours liés à l’extraction et à la production de gaz, et de 80% ceux liés à l’extraction et à la production de pétrole d’ici 2030, réduisant à moins de 1 milliard d’euros l’encours de financement à l'extraction et la production de pétrole, contre 5 milliards d’euros actuellement.
"Pour cela, on s’appuie sur le chiffre d’affaires de nos clients. Cela signifie donc que ceux qui ont une grosse partie dédiée à l’exploration et à la production de pétrole verront le montant de leurs crédits réduire drastiquement", avait alors détaillé auprès de Novethic Laurence Pessez, directrice de la RSE au sein de BNP Paribas depuis 2010. Mais pour les ONG, ça n’est pas assez. Elles y voient au moins trois écueils.
"Le premier est que les nouveaux engagements de BNP Paribas ne portent que sur les prêts aux entreprises et pas sur l’aide à l’émission de nouvelles actions et obligations, des modes d’actions financiers très utilisés dans le secteur pétrolier et gazier. Le deuxième est que l’échéance de 2030 apparaît beaucoup trop lointaine. La science nous dit qu’il faut cesser tout nouveau projet fossile dès aujourd’hui. Enfin, un prêt accordé jusqu’en 2030 signifie qu’il va financer des infrastructures qui vont encore émettre du CO2 jusqu’en 2050 et au-delà", énumère Alexandre Poidatz, responsable de plaidoyer chez Oxfam France, lors d’une conférence de presse.
Le devoir de vigilance, nouvelle arme des ONG
Ce sera désormais au juge de se prononcer. Il devra pour cela s’appuyer sur les principes directeurs de l’ONU et de l’OCDE en matière de vigilance des entreprises. Des textes du droit mou (soft law) auxquels la loi française, pour l’heure inédite au monde, donne un cadre contraignant. "La loi n’est pas une simple obligation de reporting. Le juge devra donc vérifier que les mesures proposées par BNP Paribas face au risque climatique sont adaptées et suffisantes. Et pourra le cas échéant enjoindre la banque à prendre de nouvelles mesures pouvant aller jusqu’à l’arrêt de l'activité à l’origine du dommage et même le désinvestissement", détaille maître François de Cambiaire, associé du cabinet Seattle Avocats, et chargé de représenter les ONG requérantes dans cette affaire.
À ce jour en France, une dizaine d’affaires sur le devoir de vigilance sont en cours. Le groupe EDF a par exemple été assigné en justice en 2020 pour son projet de parc éolien sur les terres de la communauté autochtone mexicaine d’Unión Hidalgo. Casino a été attaqué sur la déforestation. Et la fédération SUD PTT a assigné le groupe La Poste 2021 sur la question de la sous-traitance des activités, notamment dans le colis et l’express. La plus aboutie vise TotalEnergies pour son projet de pipeline géant Eacop en Afrique. La première audience sur le fond s’est tenue en décembre. Le délibéré sera prononcé le 28 février. Il sera particulièrement scruté.
Concepcion Alvarez @conce1