Publié le 07 novembre 2017
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Matières premières : les États-Unis reculent sur la transparence des industries extractives
Les États-Unis ont décidé de ne plus participer à la mise en œuvre de l’ITIE, l’initiative pour la transparence des industries extractives. Un coup dur pour la lutte contre la corruption liée à l’extraction des matières premières (pétrole, gaz, mines) car l’ITIE est la démarche de référence sur la transparence dans le secteur au niveau international.

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C'est un nouveau recul dans la lutte pour la transparence des industries extractives et la bataille contre la corruption qui y est liée. Dans une lettre publiée jeudi 2 novembre par le ministère de l’Intérieur américain, le pays a annoncé s’être désengagé de la mise en œuvre de l’ITIE, l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives.
Certes, le pays continue officiellement de soutenir l’initiative, mais sans se l’appliquer à lui-même et à ses entreprises au motif que "la mise en œuvre nationale de l’ITIE ne tient pas entièrement compte du cadre juridique américain", explique le directeur du département des revenus des ressources naturelles dans cette lettre.
Mauvais signal
"Cette décision envoie un mauvais signal. Il est important que des pays riches comme les États-Unis montrent l’exemple, a immédiatement réagi dans un communiqué le président de l’initiative, Frederik Reinfeldt. L’ITIE a permis de faire des progrès importants dans l’effort international pour lutter contre la corruption et les flux financiers illicites. Notre travail permet aussi de lutter contre le financement du terrorisme et du crime international."
Cette initiative, volontaire et multipartite, est en effet une référence internationale en matière de transparence dans le secteur et un cheval de bataille des ONG pour lutter contre "la malédiction des ressources" des pays en développement. Lancée en 2002 à l'initiative du gouvernement britannique et grâce à la mobilisation des organisations de développement, l'ITIE compte à ce jour 52 pays membres, principalement en Afrique Sub-saharienne, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud, des zones très concernées par l’exploitation pétrolière, gazière et minière.
La norme ITIE demande aux pays et aux entreprises de divulguer des informations clés sur les revenus liés à l’extraction des matières premières. Les États doivent ainsi publier l’argent qu’ils reçoivent des compagnies minières, pétrolières et gazières tandis que ces entreprises doivent rendre public ce qu’elles versent aux pouvoirs publics des pays où elles opèrent. Grâce aux reporting issus de cette initiative, ce sont plus de 2,3 milliards de dollars de revenus qui ont pu être analysés par la société civile et les pouvoirs publics, selon l’ITIE.
Une administration américaine réceptive au lobbying des compagnies
Autant dire que cette démarche ne fait pas l’unanimité dans le secteur. À l’annonce de la décision des États-Unis, les ONG mais aussi des hommes politiques, du camp démocrate comme républicain, ont d’ailleurs dénoncé un intense lobbying des pétroliers américains. Parmi les plus acharnés, l'American Petroleum Institute, Exxon Mobile et Chevron, nommément citées par l’organisation Global Witness, qui suit ces questions depuis des années.
Ces compagnies ont trouvé une oreille attentive chez l'administration Trump. Depuis son arrivée au pouvoir, celle-ci a commencé à détricoter les règles qui permettaient d’aller vers plus de transparence dans le secteur. Il y a quelques mois déjà, le Congrès américain avait aboli la section 1502 du Dodd Frank Act qui obligeait les entreprises cotées aux États-Unis à être transparente sur les minerais à risques, c’est-à-dire pouvant servir à financer des conflits armés (voir notre dossier sur les minerais du conflit).
Un mouvement de transparence international difficilement freinable
Pourtant, comme dans le cas du climat, certaines entreprises continueront de publier leurs paiements fiscaux. À l’instar de ces entreprises américaines qui proclament leur engagement dans la lutte contre le changement climatique (voir l’initiative « We are Still In ») malgré le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, certaines sont trop engagées pour faire marche arrière.
Comme nous l’expliquait en juin, Michael Rohwer, directeur adjoint du réseau BSR, un réseau international promouvant la responsabilité sociétale des entreprises, "quand vous avez commencé à faire du reporting, à mettre en avant vos efforts de transparence, c'est très difficile de s'arrêter. Parce qu'il y a cette pression extérieure, venue des actionnaires, de vos propres employés, qui ne va faire que s'accentuer". La publication des enquêtes des "paradise papers" après les "Panama papers" et autres "LuxLeaks" ne peut que renforcer le propos.
Béatrice Héraud @beatriceheraud