Publié le 18 février 2014
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Le Brésil s'arme contre la corruption des entreprises
Une nouvelle loi anti-corruption vient d'entrer en vigueur au Brésil. Les entreprises prises en faute pourront payer une amende allant jusqu'à 20% du chiffre d'affaires. Mais les modalités d'application font craindre des dérives.

© Transparency International
Alstom et Delta, premiers concernés par la nouvelle loi ? |
La nouvelle loi anti-corruption « pourrait certainement être utilisée pour responsabiliser des entreprises comme Alstom et Delta », euphémise le quotidien « Valor econômico » dans son édition du 28 janvier 2014. Le groupe français est soupçonné de corruption dans des marchés publics d'énergie et de transports dans l'Etat de São Paulo entre 1998 et 2008. De son côté, l'entreprise de travaux publics brésilienne est suspectée de détournement de 300 millions de réais (100 millions d'euros), via un système de corruption dans les Etats de São Paulo, Rio de Janeiro et Goias. |
Proposée par l'ancien président Lula il y a dix ans, approuvée au Congrès avant d'être promulguée le 1er août 2013 par la présidente Dilma Rousseff, la nouvelle loi brésilienne sur la corruption vient d'entrer en vigueur fin janvier. Celle-ci vise spécifiquement les entreprises. En cas de faute, elle prévoit une amende pouvant s'élever de 0,1% à 20% du chiffre d'affaires de l'entreprise, ou de 6 000 à 60 millions de réais (2 000 à 30 millions d'euros) si le chiffre d'affaires ne peut être pris comme référence. Des montants décrits comme « très élevés » par tous les observateurs. « Vous imaginez comme les pressions contre le texte ont pu être fortes » durant dix ans de parcours législatif, observe Claudio Weber Abramo, directeur exécutif de Transparência Brasil.
Un coût de 13 à 23 milliards d'euros par an
Le nouveau texte concerne non seulement la corruption établie mais aussi les tentatives de corruption. Ce qui fait polémique. « La loi prévoit la 'responsabilité objective' de l'entreprise sans qu'il soit besoin de prouver qu'elle soit coupable », ce qui empêche que l'entreprise ne se retranche derrière un salarié en cas de soupçon de corruption, décrypte Eduardo Jordão, professeur de droit administratif à la Fondation Getulio Vargas de Rio de Janeiro.
L'entrée en vigueur de la nouvelle loi anti-corruption est pourtant jugée « très positive » par la Fédération des industries de l'Etat de São Paulo (Fiesp), représentant 130 000 installations industrielles. Tout simplement parce que « la corruption mine l'économie et la compétitivité du pays », constate José Ricardo Roriz Coelho, le directeur du département Compétitivité et technologie de la plus grosse fédération patronale brésilienne. Le coût de la corruption s'élèverait, selon les sources, de 40 à 70 milliards de réais par an (13,3 à 23,3 milliards d'euros) ! Ce qui fait du Brésil l'un des mauvais élèves de l'indice de perception de la corruption au niveau mondial réalisé chaque année par Transparency International. En 2013, le pays y occupait la 72e place sur 177, perdant 3 places par rapport à l'année précédente...
Les entreprises partenaires de la lutte
« La loi utilise les entreprises comme partenaires de la lutte contre la corruption », explique Eduardo Jordão. Ainsi, les entreprises dotées de mécanismes internes pour lutter contre la corruption en leur sein verront leur sanction allégée en cas de condamnation. Celles acceptant de collaborer avec les autorités judiciaires en leur fournissant des éléments permettant de mettre à jour un système de corruption pourront également négocier un « programme de clémence » et voir le montant de leur amende réduit jusqu'à deux tiers (1).
Un dispositif déjà prévu par une autre loi brésilienne : la « loi Antitrust » datant de 2011 et qui a récemment été utilisé par Siemens, soupçonné d'avoir participé à des ententes illicites entre multinationales concernant les marchés de construction et d'entretien du métro de Sao Paulo entre 1999 et 2009. En août 2013, le groupe allemand a donc accepté de négocier avec l'organisme antitrust brésilien en échange de son impunité judiciaire, rappelle Eduardo Jordão.
« Usine à corruption »
Là où la loi anti-corruption risque de déraper, c'est sur la possibilité accordée aux représentants de l'Union fédérale, des Etats et des municipalités d'appliquer eux-mêmes de lourdes pénalités aux entreprises (perte de biens, suspension d'activité, dissolution, interdiction de subventions). « Une entreprise pourra se faire sanctionner par une municipalité alors qu'elle est liée avec elle par un marché public ! C'est anticonstutionnel ! », s'alarme l'universitaire Eduardo Jordão. Pour Claudio Weber Abramo, de Transparência Brasil, cette mesure est même susceptible d'aggraver la corruption, une collectivité disposant ainsi d'un moyen de pression sur les entreprises. « Potentiellement, c'est une usine à corruption », lâche-t-il.
(1) Ces critères doivent encore être publiés.