Publié le 07 mai 2015
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Alstom : la corruption plombe les résultats nets du groupe
Condamné en décembre dernier aux États-Unis dans une affaire de corruption en Indonésie, le géant de l'énergie et des transports français Alstom a obtenu un délai mais devra bien payer sa méga-amende de quelque 770 millions de dollars avant juin 2015. Plusieurs de ses cadres sont également sous le coup de poursuites individuelles. La menace est désormais claire pour les autres multinationales qui continueraient de s'adonner à la corruption.

Medhi Fedouach / AFP
719 millions d'euros. C'est la perte nette enregistrée par Alstom en 2014. Bien que son carnet de commande soit plein, le groupe est handicapé par l'amende que lui a infligé la justice états-unienne. Alstom doit en effet s'acquitter de 772 millions d'euros auprès du département de la justice américaine en raison d'une vaste affaire de corruption en Indonésie.
Chez Alstom, la corruption relevait d'un système "ahurissant du fait de son envergure, son audace et ses conséquences". Ce réquisitoire sans concessions est celui du procureur général adjoint américain James Cole. Le 22 décembre dernier, il annonçait la condamnation du géant français de l'énergie et des transports à une amende record de 772,29 millions de dollars pour avoir enfreint la loi américaine contre la corruption à l'étranger.
"Cet accord avec le Département américain de la Justice met un point final à ce dossier", assurait alors Patrick Kron, le PDG d'Alstom. La réalité est un peu plus compliquée.
Alstom n'a pas encore payé son amende... mais devra le faire
Face à la justice américaine, Alstom a plaidé coupable. Le groupe a reconnu que certains de ses employés avaient versé des pots-de-vin pour décrocher des contrats en Indonésie, en Égypte, en Arabie saoudite, à Taïwan et aux Bahamas.
En temps normal, le paiement de l'amende doit intervenir dans les 10 jours ouvrés. Pour Alstom, qui n'a pas souhaité commenter ces informations, la date butoir pour conclure définitivement la transaction a été fixée au 23 juin, soit un délai de six mois supplémentaires. Mais il ne faut pas y voir un signe de clémence de la justice américaine.
Pour comprendre ce dossier, il ne faut jamais perdre de vue qu'Alstom est en train de finaliser la vente d'une partie de ses activités au groupe américain General Electric. Et ce dans un délai estimé à... six mois précisément.
La justice américaine ne laisse donc à Alstom que le temps de sortir la tête de l'eau pour mieux sceller ce rachat. Car contrairement à ce qu'a laissé entendre cet hiver la direction du groupe, le "deal" passé avec la justice américaine empêche General Electric de régler lui-même l'amende. Tôt ou tard, Alstom devra donc sortir seul son chéquier.
Un programme de surveillance de trois ans
Cette amende record est par ailleurs doublée d'une sanction moins visible mais redoutable : un programme de "compliance", c'est-à-dire une obligation de respecter certaines bonnes pratiques éthiques.
Pendant trois ans, le groupe français va ainsi rester sous la surveillance du Département de la Justice, qui attend de lui un rapport, au minimum annuel, sur la mise en œuvre de ses engagements anti-corruption. D'après un spécialiste de ce genre de procédures, cette surveillance va coûter entre 10 et 20 millions de dollars supplémentaires. Là encore, c'est à Alstom de régler l’addition.
Dans ce dossier, il faut aussi compter avec des sanctions individuelles. La justice américaine a ainsi décidé de poursuivre au moins cinq dirigeants d'Alstom. Cinq, cela peut paraître peu quand l'accusation dénonce un "système de corruption qui a perduré pendant plus d’une décennie et sur plusieurs continents".
Mais pour l'avocat Stéphane Bonifassi du cabinet Lebray & Associés, spécialiste de la corruption, c'est déjà une révolution : "Dans le passé, il n'y aurait eu personne. Là, il y a eu cinq personnes arrêtées dont une a fait de la prison pendant plusieurs mois. En France, personne ne fait jamais de prison sur des affaires de corruption internationale... ", fait-il remarquer.
Cinq cadres d'Alstom arrêtés, mais pas le PDG Patrick Kron
Pourtant, la justice américaine n'a pas inquiété le PDG Patrick Kron. Pourquoi ? Dans ce type de dossier, il faut disposer de preuves directes et personnelles, un exercice difficile quand on atteint le sommet de la hiérarchie. Longtemps, les marchés se sont donc chargés de "condamner" ceux que la justice ne poursuivait pas, en les forçant par exemple à démissionner.
C'est notamment ce que dénonce Transparency international, une ONG spécialiste de la lutte anti-corruption, dans un communiqué diffusé fin janvier. Même si elle ne cite jamais nommément Patrick Kron, elle en appelle à la responsabilité du "conseil d'administration" pour tirer toutes les conséquences de cette condamnation.
Si cette pression ne suffit pas dans les années à venir, d'autres experts estiment que la justice américaine n'hésitera pas à évoluer pour viser, à l'occasion d'une prochaine affaire, le plus haut sommet de la hiérarchie. Au moment où il a rendu publique la condamnation d'Alstom, le procureur général adjoint a lancé cette mise en garde : la justice américaine "sera implacable pour traquer et punir la corruption aussi loin que la loi le permet". Les multinationales sont prévenues.