Publié le 08 avril 2015

FINANCE DURABLE

Vatican : la réforme de la banque papale sera-t-elle éthique ?

L’IOR (Institut pour les œuvres de religion), surnommé "Banque du Vatican", défraie depuis des années la chronique. Et pour cause : elle manque cruellement de transparence. Créée en 1942 et abritée dans une tour médiévale à deux pas des appartements du Pape, elle a couvert des opérations de blanchiment d’argent, provenant notamment de la Mafia. Elle doit aujourd’hui se réformer, mais la mise en place de règles de finance éthique est plus ardue qu’on ne pourrait le penser pour une banque d’Église.

Jean-baptiste de Franssu, le président français de l'IOR, l'Institut pour les Oeuvres de Religion, photographié au Vatican le 9 juillet 2013.
Vincenzo Pinto / AFP

S’il y a bien un dossier sur lequel le Pape François a donné un grand coup d’accélérateur, c’est sur celui de la réforme économique et financière du Vatican. La finance elle-même est un des sujets de prédilection du Pape, pour qui elle doit être éthique et solidaire. Mais la route semble encore longue pour la Banque du Vatican.

 

Au Vatican, être « propre » pour être éthique

 

Depuis l’an dernier, l’institution bancaire est en profonde réforme. C’est un Français issu du monde bancaire, Jean-Baptiste de Franssu, qui officie désormais à sa tête. Lors de sa nomination, il avait promis que seuls les investissements éthiques pourraient transiter par L’IOR.

Mais il a d’abord fallu gérer l’urgence. Et l’urgence, pour l’IOR, c’est de se mettre au niveau des règles internationales de lutte contre le blanchiment d’argent. Suite à un audit des 19 000 comptes de l’IOR par la société Promontory, plus de 1 400 d’entre eux ont été fermés.  Aujourd’hui, la banque propose uniquement des activités de dépôt et de gestion patrimoniale à ses clients (qui sont pour un tiers des salariés du Vatican et pour deux tiers des congrégations religieuses), mais sans leur offrir d’activités de crédit.

Considérée comme la banque la plus opaque du monde, l'IOR s’essaie aussi à la transparence, en publiant tous les deux ans un rapport d’activités. Le premier, publié fin 2014, dévoilait un portefeuille de plus de 6 milliards d’actifs. Mais le Vatican peine encore à transformer en actes les discours dénonciateurs du Pape François sur les dérives de la finance contemporaine et sur l’appel à la solidarité.

 

L’Église à la traîne sur la question de la Finance éthique

 

"L’Église accuse un retard dans sa réflexion sur la finance éthique", explique l’économiste Pierre de Lauzun, grand spécialiste de cette question et auteur de "Finance : un regard chrétien, de la Banque médiévale à la mondialisation financière" (Editions Embrasure, 2012). "Il y a suffisamment de choses dans la doctrine sociale de l’Église pour qu’un laïc ou un religieux puisse s’en inspirer, surtout dans l’encyclique de Benoît XVI Caritatis in Veritate, mais pas assez pour donner un guidage précis. Une certaine doctrine doit s’élaborer", ajoute-t-il.

Pierre de Lauzun pourrait bien être un contributeur important à cette réflexion en cours. Selon lui, les critères de l’investissement socialement responsable sont trop "étriqués" pour la définition d’une finance chrétienne éthique. Mais la Banque du Vatican pourrait peut-être s’inspirer des propositions de l’économiste, que l’Église vient de récompenser pour son ouvrage.

Elle pourrait, par exemple, appliquer des critères "ISR" à  l’achat de dettes, notamment souvraines - des critères tels que la solvabilité, le comportement d’un État, ou la mise en pratique un programme positif. Même si, dans le fond, l’achat d’actions paraît plus éthique que l’achat de dette à celui qui est aussi délégué général de l'Association Française des Marchés Financiers : "L’achat d’action est plus sain, mais plus risqué que la dette. Car moralement, vous êtes solidaires avec l’entreprise. Si elle ne gagne pas d’argent, votre action n’est pas rémunérée. Vous financez le développement, et étant propriétaire de l’entreprise, vous avez plus de chance de peser sur son orientation", estime Pierre de Lauzun.

 

Comment appliquer les règles de la finance éthique a la Banque du Vatican ?

 

La Banque du Vatican est encore loin d’appliquer des principes éthiques à sa gestion financière. Elle propose essentiellement des investissements dans de l’achat de dette. "La sensibilité existe mais ils ont eu d’autres urgences à gérer" affirme le vaticaniste Ignazio Ingrao, journaliste pour l’hebdomadaire Panorama.

Alors l’investissement éthique, et à plus forte raison l’investissement socialement responsable, reste encore à l’état de perspective. "C’est quelque chose que nous évaluons", assure Max Hoenberg, porte-parole de l'IOR. "La difficulté, c’est que vous devez trouver des normes communes alors que l’Église catholique est très décentralisée et que, sur chaque produit, vous avez des opinions différentes au sein de l’Église. Il y a bien sûr un consensus sur le fait d’un investissement éthique mais si vous allez dans le détail… c’est un chantier en cours, il faut définir", précise-t-il. Des congrégations religieuses peuvent ainsi refuser d’acheter de la dette de pays qui pratique la peine de mort.

Mais la Banque du Vatican, qui relève directement de l’autorité du Pape, peut-elle prendre le risque de définir un certain nombre de valeurs qui seront forcément vues comme des choix diplomatiques ou économiques du Pape ? s’interroge le porte-parole de l’IOR. La réflexion sur le sujet en est tout juste à ses prémices.

Virginie Riva, correspondante à Rome
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