Publié le 21 mai 2015
FINANCE DURABLE
Pierre-René Lemas : "Mettre la pression sur les acteurs privés"
Le groupe Caisse des Dépôts (dont Novethic est une filiale) est l’un des co-organisateurs du Climate Finance day, qui aura lieu ce vendredi 22 mai à l’Unesco. En pleine Climate and Business week, Pierre-René Lemas, le directeur général de la CDC, détaille les engagements d’investissements du groupe en faveur du climat et d’une économie décarbonée.

Eric Piermont / AFP
Novethic : Nous en sommes en pleine Climate week. Le vendredi 22 mai, la Caisse des Dépôts co-organise le Finance day. Il s’agit de faire adopter "un agenda positif" au secteur financier. Qu’attendez-vous concrètement de cet évènement ?
Pierre-René Lemas : Notre premier objectif, c’est de faire apparaitre les différentes initiatives qui ont été prises par les uns et par les autres, et de provoquer une prise de conscience. Nous espérons aussi des engagements de la part des acteurs du monde financier, en particulier des banques et des assureurs. Nous attendons aussi des engagements de la part des agences de notation.
C’est notamment la raison qui nous a poussé à inviter l’agence Standard and Poor's. Nous attendons plus d’un millier de participants. À l’occasion de cette Climate week, des solutions économiques et industrielles pour lutter contre le changement climatique sont mises en avant. Notre initiative vient compléter ce dispositif. Il était important de faire participer les Nations Unies, mais aussi les grands établissements financiers mondiaux, les acteurs du monde de l’assurance et des spécialistes de la finance verte.
La Caisse des dépôts doit être l’opérateur des transitions, en particulier écologique et énergétique. À l’été dernier, nous nous sommes posés la question de savoir comment nous pouvions amener le monde de la finance, dans la perspective de la COP 21, à devenir un acteur de la transition énergétique. C’est ainsi qu’a émergé l’idée d’organiser un colloque international sur la finance verte.
Novethic : Quel est l’enjeu pour le secteur financier ?
Pierre-René Lemas : Il est double : mobiliser les outils financiers en faveur de la transition énergétique, et faire de la finance verte un objectif en soi de la planète financière. Cela passe par une définition d’un cadre juridique mondial. Cela passe évidemment par la fixation d’un prix du carbone. Au-delà des discours, comment s’y prend-on de manière concrète ? Nous avons devant nous beaucoup de travail en matière d’ingénierie financière.
Pour répondre à cette question, j’aime bien utiliser la métaphore des ponts : cela coûte plus cher de construire un premier pont fragile avant la tempête puis un second, plus solide, après la catastrophe, plutôt que d’en construire un résistant tout de suite. Même si sur le moment, ce pont résistant vous paraît plus cher en soi.
Novethic : Quels sont les engagements de la Caisse des dépôts pour lutter contre le changement climatique ?
Pierre-René Lemas : Nous sommes les initiateurs de cette journée sur la finance et le climat. Nous allons donc nous engager nous aussi. Le groupe Caisse des Dépots [dont Novethic est une filiale, NDLR] va mobiliser 15 milliards d’euros en faveur de la transition énergétique d’ici 2017. C’est considérable. Cela représente pour la Caisse des Dépôts un doublement de ses fonds propres dans les énergies renouvelables. Cela englobe les 5 milliards de prêts croissance verte aux collectivités locales.
Cela représente pour la BPI le quasi doublement de ses interventions en faveur de la transition énergétique (TE). D’ici 2 ans, la Banque Publique d’investissements (BPIFrance) mobilisera un milliard d’euros par an pour favoriser la TE. Enfin, CNP assurance doublera aussi son encours d’investissement TE, pour là aussi atteindre un milliard d’euros en 2017.
Novethic : Comment allez-vous prendre en compte l’empreinte carbone de vos portefeuilles ?
Pierre-René Lemas : Nous allons d’abord devenir signataire du Protocole de Montréal, qui oblige à rendre publique l’empreinte carbone de ses propres activités. Nous allons le faire, probablement au mois de septembre. Concrètement, nous allons publier l’empreinte carbone de l’ensemble de nos portefeuilles. Nous nous sommes fixés des objectifs : - 38 % d’émissions de gaz à effet de serre sur nos actifs immobiliers. Et une diminution de 15 % sur notre portefeuille infrastructure.
Nous avons pris le Grenelle de l’environnement pour référence, ce qui signifie que nous souhaitons atteindre ces objectifs à l’horizon 2020. Nous n’avons pas encore fixé d’objectifs à nos autres portefeuilles, car nous n’avons pas encore de vision d’ensemble.
Novethic : La CDC est un actionnaire central de grandes entreprises françaises, comme Total. Comment le groupe compte-t-il jouer son rôle d’actionnaire responsable de long terme sur la question du changement climatique ?
Pierre-René Lemas : Nous allons conduire une politique actionnariale nouvelle, qui va intégrer le problème climatique. Nous voulons être un actionnaire actif pour la croissance verte. Dans toutes les entreprises où nous sommes au capital, nous allons engager un dialogue. Nous leur demanderons quelle est leur politique en termes d’émissions et de réduction de gaz à effet de serre. Et nous irons plus loin. Nous allons nous fixer en commun des objectifs de réduction volontaire.
Nous fixerons aussi communément un calendrier. Mais si on considère que ces engagements ne sont pas respectés, nous n’exclurons pas de baisser notre part dans leur capital. Il ne s’agit pas de désinvestir car cela n’aurait aucun sens économique.
Novethic : C’est à la fois un moyen de pression et d’entrainement du secteur privé ?
Pierre-René Lemas : Oui. Nous sommes actionnaires de toutes les entreprises du CAC 40, nous sommes le premier actionnaire des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des PME en France. Nous sommes globalement un gros actionnaire, même si nous n’avons que des participations minoritaires. Nous voulons envoyer le signal indiquant que nous souhaitons une politique active en matière de réduction de GES.
Il s’agit donc bien de mettre la pression sur ces acteurs privés. Cela dit, nous ne sommes pas candides : comme tous les investisseurs, nous sommes confrontés au problème du risque rendement. Comment engager cet engagement actionnarial sans déséquilibrer notre portefeuille ?
Mais nous sommes persuadés que si nous, actionnaire public, ne menons pas ce type d’initiative, personne ne le fera à notre place. La bonne nouvelle, c’est que cette semaine, toutes les entreprises semblent volontaires pour s’engager dans cette voie.
Novethic : Envisagez-vous de vous désinvestir des énergies fossiles ? Et si c’est le cas, à quelle échéance ?
Pierre-René Lemas : c’est une question très difficile. Mais la réalité, c’est que désinvestir, cela revient à laisser la place à d’autres actionnaires. Je crois plutôt à la force de l’actionnariat, au fait d’être en capacité de peser sur la stratégie des entreprises. Il vaut mieux faire pression. Mais nous allons lancer une enquête auprès de toutes les entreprises desquelles nous sommes actionnaires pour vérifier quelle est leur exposition au charbon. Nous en tirerons ensuite les leçons.
C’est un sujet dont j’ai souvent discuté avec Pascal Canfin. De nos échanges, il est apparu que le désinvestissement ne conduit pas à la création d’énergies nouvelles. Cela dit, nos participations dans EDF, GDF (moins de 1,5 %) et Total (3,5 %) sont assez faibles.
Novethic : Mais cette décision ne serait-elle pas symbolique, compte tenu de la singularité et du poids de la Caisse des dépôts dans l’économie française ?
Pierre-René Lemas : Cela aurait du sens. Mais, en tant qu’actionnaire, je veux d’abord avoir un état des lieux précis et voir si on est en capacité de peser. Je n’exclus pas de désinvestir. Mais je ne veux pas prendre cette décision aujourd’hui.
Novethic : Le projet de loi sur la transition énergétique est à nouveau examiné cette semaine par l’Assemblée nationale. Ségolène Royal n’a cessé de mettre en avant les territoires et les initiatives locales dans son texte. Comment le groupe compte-t-il accompagner la transition énergétique et la mettre en œuvre, notamment avec les collectivités ?
Pierre-René Lemas : Dès que le texte de loi sera définitivement voté, la Caisse des dépôts gèrera le fond de la transition énergétique doté de 1,5 milliard d’euros. Nous avons signé une convention avec l’État. Nous serons prêts, dans les semaines qui viennent, à financer les territoires à énergies positives. J’espère que nous pourrons débloquer, concrètement, les financements d’ici l’été.
Novethic : La CDC et ses filiales est le premier bailleur français. La rénovation thermique des bâtiments stagne actuellement en France, notamment faute de financement. Quels sont les objectifs en termes de rénovations énergétique, pour les logements sociaux et les bâtiments tertiaires ?
Pierre-René Lemas : L’an dernier, nous avons réalisé la rénovation énergétique de 47 000 logements. Nous allons passer à un rythme annuel de 60 000. C’est un changement de braquet.