Publié le 15 octobre 2015

FINANCE DURABLE

Esclavage moderne : les investisseurs appelés à renforcer leur vigilance

Les plaintes déposées auprès de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) contre le gestionnaire du fonds souverain norvégien et le fonds de pension néerlandais APG, à propos de leur rôle d’actionnaire minoritaire d’entreprises responsables de violations des droits humains, a ouvert un nouveau champ de responsabilité. Au-delà des exclusions éthiques et normatives, leur rôle est d’inciter les entreprises à renforcer leurs dispositifs de vigilance. Cela est d’autant plus important que les Etats-Unis et la Grande Bretagne ont adopté en même temps, fin juillet, des lois pour lutter contre l’esclavage dans la chaîne de sous-traitance.

Mouvement anti-Posco, n°2 mondial de l'acier, à New-Delhi en avril 2013.
Raveendran / AFP

Quand OECDWatch et d’autres ONG ont choisi de cibler les actionnaires, même très minoritaires, de POSCO, géant de l’acier coréen accusé de violations graves et répétées des droits humains, elles voulaient obtenir des résultats. "Ces ONG ont compris que les investisseurs détiennent le principal effet de levier sur les entreprises, mais aussi indirectement sur les Etats ", explique Elin Wrzoncki, en charge des programmes entreprises au sein de l’Institut danois des droits humains.

Cette affaire, ouverte en 2013, a conduit l’OCDE à réfléchir à la mise en œuvre de ses principes directeurs pour le secteur financier afin de définir progressivement le champ de sa responsabilité. Elle consiste, pour l’essentiel, à faire de l’engagement actionnarial auprès des entreprises pour vérifier qu’elles ont une politique dans ce domaine, assortie d’indicateurs de mesure et de moyens de contrôle pour veiller à ce que cette politique soit respectée dans l’ensemble de la chaîne de sous-traitance. "Cela devient d’autant plus sensible", explique Elin Wrzoncki, "que les nouvelles lois anglaise et américaine de lutte contre l’esclavage créent un risque juridique très concret."

 

Trafic des personnes

 

La loi sur l’esclavage moderne, adoptée le 30 juillet par le Parlement britannique, oblige les entreprises réalisant plus de 51 millions d’euros de chiffre d’affaires à publier un rapport sur leur dispositif de prévention de l’esclavage et les conditions de travail inhumaines dans leur chaîne de sous-traitance. "Cette mesure est un pas très important pour définir la notion de responsabilité des entreprises sur les conditions de travail dans leur chaîne d’approvisionnement ”a déclaré David Cameron, le Premier ministre au moment où elle a été déposée.


Aux Etats-Unis, une loi exigeant des entreprises réalisant plus de 100 millions de dollars de chiffre d’affaires, la publication d’informations sur les mesures qu’elles prennent pour lutter contre le trafic des personnes, l’esclavage et le travail des enfants a été proposée elle aussi fin juillet. Un dispositif de ce type existe, depuis 2012, en Californie mais les investisseurs responsables américains se réjouissent de cette extension : "L’obligation de transparence qu’elle crée va apporter aux investisseurs les informations nécessaires pour évaluer les risques droits humains de leurs portefeuilles et leur éventuel impact financier" a expliqué Julie Tanner, assistante du directeur du centre catholique d’investissement responsable de CBIS.

 

Premier classement


Ce ne sont que des obligations de reporting et de transparence mais les entreprises qui ne les rempliront pas et seront mises en cause pour esclavage, seront lourdement condamnées. "L’arsenal législatif sur l’esclavage est déjà en place et il est exigeant", précise Elin Wrzoncki. "Même si ce n’est qu’une demande de reporting, cela crée une obligation de transparence dont le respect peut être analysé et comparé. Cela fait bouger les lignes au sein des entreprises. Grâce à cela, nous progressons sur des dimensions spécifiques. La convention sur le travail forcé, publié par l’OIT au printemps, inclus aussi cette notion de diligence raisonnable. Ces avancées concrètes sont d’autant plus cruciales que nous ne parviendrons peut-être jamais à avoir un traité global et international sur le respect des droits humains."


Elle cite en exemple le rapport publié par Coca Cola dont elle espère qu’il servira de modèle à de nombreuses entreprises, tout en restant lucide. "Il s’agit pour l’instant d’une poignée de très grandes entreprises qui interviennent dans le monde entier et ont mis le sujet à leur agenda. Mais il faudrait que toutes, quelles que soient leur taille et leur localisation, se sentent concernées. C’est pourquoi nous encourageons toutes les initiatives permettant de définir des indicateurs de mesure du respect des droits humains par les entreprises, homogènes et utilisables par le plus grand nombre d’investisseurs."

C’est la raison pour laquelle en juin dernier, l’institut danois a rendu public l’ensemble des données collectées sur les droits humains pour plus de 6 000 entreprises dans le monde. Elles doivent contribuer à aider un autre projet porté par un groupe d’investisseurs, d’ONG et une agence de notation : le Benchmark des entreprises sur les droits humains (Corporate Human Rights Benchmark_CHRB). Une première consultation sur les indicateurs de mesure de performance des entreprises dans ce domaine, a été lancée le 8 juillet. Le groupe de travail souhaite recevoir de nombreux commentaires sur son projet dans l’espoir de publier le premier classement des entreprises en juin 2016.

 

 

Anne-Catherine Husson-Traore
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