Publié le 16 novembre 2023
ENVIRONNEMENT
Le Vibrio, cette bactérie mangeuse de chair qui prolifère avec le réchauffement des océans
Les liens entre changement climatique et santé sont de plus en plus avérés : multiplication par cinq de la mortalité liée à la chaleur, des millions de personnes touchées par l’insécurité alimentaire et des maladies infectieuses qui se diffusent, énumère la nouvelle édition du Lancet Countdown. Une bactérie en particulier, le Vibrio, est ainsi en train d’étendre sa zone de propagation à mesure que les océans se réchauffent. L’Europe est la région où sa croissance est la plus élevée.

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Il aime particulièrement les eaux chaudes. Le Vibrio, une bactérie très commune dans les milieux marins, est en train de se propager à mesure que la température de nos océans se réchauffe sous le coup du changement climatique provoqué par l’humain. C’est l’une des nombreuses mises en garde de la nouvelle édition du rapport Lancet Countdown, publié mercredi 15 novembre dans la célèbre revue médicale homonyme. Issue de la famille des vibrions, cette bactérie est capable de causer des infections mortelles.
Selon les données du rapport, les zones côtières propices à la diffusion de la bactérie Vibrio ont augmenté de 329 kilomètres tous les ans depuis 1982. En 2022, au total, 10% des zones côtières dans le monde étaient concernées et 1,4 milliard de personnes susceptibles de présenter des maladies diarrhéiques, de graves infections des plaies et des septicémies. Un chiffre record, alertent les chercheurs. Dans un scénario de réchauffement à 2°C, les zones côtières propices à la bactérie Vibrio devraient s’élargir de 17 à 25% et engendrer entre 23 et 39% de cas supplémentaires d’ici à 2050.
"Le risque est là"
La menace est particulièrement forte en Europe, où les eaux côtières propices au Vibrio ont gagné 142 kilomètres par an. C’est la plus forte augmentation en 2022, avec 17% du littoral touché. L’océan Atlantique en particulier est à risque. Sa température en surface a battu des records de chaleur à plusieurs reprises cette année, et encore récemment avec une moyenne de 24,2°C le 17 octobre, soit +1,1°C comparé à la norme 1982-2011.
"Ce réchauffement global de la température de surface de la mer sur l’Atlantique peut favoriser une dynamique forte des deux bactéries Vibrio pathogènes pour les humains, à savoir le Vibrio parahaemolyticus et le Vibrio vulnificus. Le risque est là", confirme à Novethic Patrick Monfort, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des vibrions. "Il est en outre aggravé par les événements extrêmes comme les ouragans, les tempêtes ou les inondations qui vont faire varier les niveaux de salinité de l’eau, deuxième facteur favorable à la propagation de ces Vibrio", poursuit-il.
La contamination des humains peut se faire de deux façons, en consommant des fruits de mer crus ou insuffisamment cuits, ou en exposant une plaie ouverte à de l'eau contaminée. Celle-ci peut alors s’infecter et peut mener à une amputation voire à une septicémie, c’est pourquoi on parle de bactérie "mangeuse de chair" pour le Vibrio vulnificus. Le Vibrio parahaemolyticus peut quant à lui provoquer des gastro-entérites. "Une contamination par cette bactérie peut être très grave, surtout chez les personnes immunodéprimées, mais il ne faut toutefois pas affoler les populations", tempère le chercheur.
Une journée dédiée à la santé à la COP28
Selon le Center for Disease Control and Prevention aux États-Unis, il y a entre 150 à 200 cas d'infection au Vibrio vulnificus aux États-Unis chaque année, principalement au cours des mois les plus chauds, avec un taux de mortalité élevé : une personne touchée sur cinq succombe. Une étude récente a également montré qu’après l’ouragan Ian, qui a dévasté la Floride en septembre 2022, on avait recensé 38 infections associés à la Vibrio et 11 décès. Les cas outre-Atlantique devraient doubler dans les vingt prochaines années.
"Dans la baie de Chesapeake, près de Washington, un suivi continu de la salinité et de la température de l’eau dans l’estuaire permet de prévenir le risque de propagation des bactéries Vibrio et d’interdire au-delà d’un certain seuil la vente des coquillages. D’autres pays comme le Japon ont pris des mesures sur les niveaux de concentration de Vibrio parahaemoliticus dans les coquillages ", commente Patrick Monfort. En France pour l’instant aucune surveillance n’est mise en place, mais cela va peut-être être amené à changer. D'autant que le pays est le premier producteur et consommateur d'huîtres en Europe.
Le sujet de la santé et du changement climatique prend en tout cas de l’ampleur. Pour la première fois de l’histoire des négociations climatiques, une journée entière va être consacrée au sujet à la COP28 de Dubaï, qui se tient du 30 novembre au 12 décembre. Son président, Sultan Al-Jaber, a d’ailleurs co-signé une tribune publiée dans Le Monde le 12 novembre, avec des représentants de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Ils appellent "tous les gouvernements à signer la Déclaration sur le climat et la santé (...), qui ancrera la santé dans le programme d’action climatique et en fera un élément primordial de l’héritage de la COP28". Selon les prévisions du Lancet Countdown, dans un scénario de réchauffement à 2°C, le nombre de morts annuelles causées par la chaleur serait multiplié par 4,7 d’ici 2050.