Publié le 25 mai 2016
ENVIRONNEMENT
Glyphosate : les atermoiements de la Commission européenne
La décision européenne sur l'autorisation du glyphosate a encore été repoussée. Une forte mobilisation citoyenne est venue contester la fiabilité des procédures européennes d'évaluation et réclamer des comptes aux décideurs. Face à cette fronde, plusieurs institutions européennes ont pris des positions inédites. La Commission européenne n'a plus que quelques semaines pour prendre une décision, l'autorisation du glyphosate expirant le 30 juin.

Simon Guillemin / Hans Lucas / AFP
Le 19 mai, la Commission européenne a décidé d'ajourner le vote concernant le renouvellement de l'autorisation du glyphosate, faute de majorité qualifiée entre les États membres. La France et l'Italie y étaient en particulier opposées. Quatre ans après le début de la procédure de renouvellement, les décideurs se trouvent donc au pied du mur. L'autorisation de cette substance chimique arrive à échéance le 30 juin.
Que va-t-il se passer ? La Commission européenne n'a pas besoin de majorité qualifiée pour décider de l'autorisation du produit. A l'instar de ce qui se passe depuis des années pour l’importation d'OGM, sans majorité qualifiée, c'est à elle de trancher. Mais Bruxelles n'a pas voulu endosser seule la responsabilité du renouvellement du glyphosate. Son agence d'évaluation sanitaire, l'Efsa, fait déjà l'objet de plaintes. Début mars, six ONG ont en effet saisi la justice allemande contre elle, mais aussi contre l'agence sanitaire allemande en charge du dossier pour l'Europe BfR et contre Monsanto, pour avoir nié les effets cancérigènes du glyphosate. Le 18 mai, c'est au tour de l'association Générations futures d'entamer une action juridique en France.
Bruxelles risque pourtant d'assumer seule la décision de ré-autorisation, sauf à convaincre dans les jours qui viennent quelques pays qui se seraient abstenus le 19 mai. Une interdiction totale sans préavis au 30 juin parait peu envisageable.
Herbicide le plus vendu en Europe, notamment sous la marque Roundup, le glyphosate entre dans la composition de plusieurs centaines de produits phytosanitaires. Selon Monsanto, les 2/3 des agriculteurs français utilisent ce produit pour désherber leurs champs. Tout reposera donc sur les conditions du renouvellement proposées par la Commission européenne.
"La politique s'empare du processus règlementaire"
Monsanto regrette que "la politique s'empare du processus règlementaire" pour in fine "changer les règles du jeu", selon Yann Fichet, Directeur des affaires institutionnelles de Monsanto, qui réagissait le 19 mai sur France Inter.
Pourtant, c'est bien ce qui est remarquable dans cette affaire : la forte mobilisation citoyenne pour pousser les décideurs devant leurs responsabilités et exiger plus de transparence dans les procédures d’évaluation.
L'avis du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), qui a classé début 2015 le glyphosate cancérogène pour l'homme, a mis le feu au poudre. Outre les plaintes des ONG, de nombreuses pétitions ont circulé en ligne. L’une d’elle, portée par Avaaz, a réuni plus de 1,4 million de signatures. Plusieurs lettres ouvertes ont été publiées. La dernière en date, signée le 12 mai par 39 ONG européennes, interpelle les 28 membres de l'UE, suite à la position de nombreux scientifiques sur une augmentation prévisible des cas de cancers liés au glyphosate en cas de ré-autorisation.
Monsanto sous pression
Pour la première fois, le Parlement européen a donné son avis (uniquement consultatif) sur la commercialisation d'un produit phytosanitaire. L'hémicycle de Strasbourg a voté le 13 avril 2016 un texte proposant de réduire l'autorisation à 7 ans (contre 15) et de restreindre son utilisation, en attendant le résultat d'études complémentaires.
Autre prise de position inédite, le Commissaire européen à la Santé a demandé à Monsanto de rendre publiques les études toxicologiques ayant justifié les autorisations. En effet, une des critiques faites aux procédures d'évaluation des agences européennes est qu'elles reposent sur des études confidentielles des producteurs chimiques. Or, de plus en plus de recherches publiques concluent à l'inverse des industriels sur la dangerosité du produit.
Au delà du cas du glyphosate, c'est donc la fiabilité de son expertise que l'Europe doit rétablir (lire aussi notre article sur l'inquiétante cécité des agences d'évaluation).