Un sable gris, zébré de vert sur des kilomètres. Cette image spectaculaire pourrait figurer dans un recueil de photographies de l'astronaute Thomas Pesquet. Mais, de plus près, c'est un enfer. À quatre pattes sur un tas d'algues à l'odeur d'œuf pourri, un homme suffoque. Dès les premières minutes, le film "Les algues vertes", qui sort en salles le 12 juillet, plonge le spectateur dans l'horreur de ce paysage désormais commun en Bretagne.

Depuis un demi-siècle, des algues vertes prolifèrent sur les plages bretonnes, surtout dans le département des Côtes-d'Armor, et relâchent des gaz toxiques. Cet été encore, les arrêtés d'interdiction d'accès à certaines plages se multiplient. À l'origine de ces algues, les rejets massifs de nitrates issus de l'agriculture et de l'élevage de porcs, trois fois plus nombreux que la population dans le coin. Ces produits, qui se déversent dans les rivières et l'océan, dopent le phénomène d'eutrophisation : les algues colonisent l'ensemble du milieu et pompent l'oxygène de l'eau. Autre conséquence, leur décomposition libère de l'hydrogène sulfuré (H2S), un gaz potentiellement mortel.

En 1989, le premier décès lié à ces inhalations a été constaté. Depuis, au moins deux autres personnes et une quarantaine d'animaux ont subi le même sort. Mais le silence a longtemps entouré ces drames. Les autopsies n'étaient même pas réalisées et les rares voix dénonçant la mortalité des algues jugées fantaisistes. Cela remet en cause le système agricole et d'élevage intensif, pilier économique de la région.

Trois ans d'enquête

La journaliste Inès Léraud, au centre du film, s'est battue contre cette omerta. Et elle se bat encore : la projection du film a été perturbée dans plusieurs salles par des agriculteurs. Mais la journaliste est habituée à ces tensions. Il lui a fallu trois ans pour dérouler tous les fils et contribuer à faire reconnaître la toxicité des algues vertes. Le film s'inspire de la BD à succès "Les algues vertes, histoire impossible", publiée en 2019, dans laquelle la journaliste raconte son investigation et questionne les contradictions d'un modèle agricole mortifère. 

En 2016, Inès Léraud s'installe dans le village de Coet Maël pour son podcast "Journal breton", diffusé sur France Culture. Mais en abordant le sujet des algues vertes, elle découvre l'ampleur du malaise. D'abord le déni d'éleveurs rencontrés au coin d'un bar. Puis le silence des institutions comme l'Agence Régionale de Santé ou encore la préfecture. Enfin, les SMS réguliers de menace et les tentatives d'intimidation, comme le dévissage de boulons sur les roues de sa voiture. "Seule, tu ne tiendras pas le coup", l'avertit André Olivereau, ancien employé d'EDF et rare habitant à investiguer sur le sujet.

Les langues se délient à mesure qu'elle gagne la confiance de certains habitants. Un agriculteur finit par témoigner à son micro, la voix anonymisée. Des habitants lui témoignent leur intérêt pour son podcast. La journaliste Morgane Large, travaillant pour un média local, devient un soutien précieux, lui procurant des documents confidentiels.

Quand la culpabilité bascule

Le film montre aussi le point de basculement de l'enquête, lorsqu'à nouveau, un joggeur meurt dans une zone infestée d'algues vertes. Encore une fois, l'autopsie n'est pas réalisée. Mais plusieurs mois plus tard, Inès Léraud rencontre la famille du défunt. Peu à peu, le sentiment de culpabilité change de camp. Rolande, sa femme, décide de porter plainte pour "faire jurisprudence". Ce procès n'a pas donné de suites, le lien avec les algues vertes n'ayant pas pu être prouvé. Mais des progrès ont été réalisés. Le tribunal s'est prononcé sur le manque d'action de l'État face aux algues vertes. Autre victoire, la reconnaissance en accident du travail de la mort en 2009 d'un conducteur de camion transportant des algues vertes.

Mais les algues continuent de se développer. Le manque d'action des institutions locales et nationales est de plus en plus pointé du doigt. Les associations Eau et rivières de Bretagne et Sauvegarde du Trégor ont déposé un recours contre le sixième programme d'action contre les nitrates d'origine agricole, considéré "insuffisant", raconte Le Monde. De son côté, la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles (FRSEA) le juge au contraire trop exigeant. "Les solutions sont là, il faut aller vers des modèles polyvalents, encourager la plantation de haies qui filtrent les nitrates", affirme Mathieu Orphelin, directeur général de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), qui soutient le film.

À quelques jours de la sortie en salles du film, Greenpeace France a mené une action spectaculaire en déversant une tonne d’algues vertes devant la préfecture du Finistère, à Quimper. Les activistes dénoncent la responsabilité de l’État dans la prolifération des algues vertes sur le littoral breton. 

Fanny Breuneval