Tapis rouge et paillettes pour les uns, "spectacle indécent" pour les autres. Pour cette 76ème édition, l’impact environnemental du Festival de Cannes se retrouve sous les projecteurs. Le samedi 20 mai, deux actions ont été menées de front par des associations écologistes pour dénoncer le bilan carbone de l’événement. Dans leur viseur, les modes des transports des "ultra-riches" invités lors du festival. Dans un premier temps, des militants d’Extinction Rebellion ont introduit plusieurs voitures télécommandées ornées de fumigènes sur le tarmac de l'aéroport de Cannes-Mandelieu afin de gêner le décollage des jets privés affrétés pour l’occasion.

"Les annonces "écologiques" du Festival de Cannes (comme "supprimer les bouteilles en plastique à usage unique") sont une vaste blague face à la pollution indécente des jets privés", estime le collectif dans une série de tweets, qui rappelle que les passagers de jets "émettent en moyenne 50 fois plus de gaz à effet de serre qu'en train". À quelques kilomètres de là, une quinzaine d’activistes d’Attac se sont mobilisés pour protester contre les méga-yachts amarrés dans le port de Cannes.

Sur Twitter, le compte Yacht CO2 tracker, qui révèle les émissions de CO2 des bateaux de luxe, identifie dans son dernier décompte 44 yachts à Port Canto. Ces derniers consommeraient 26 700 litres de gasoil par heure, soit l’équivalent de 71 tonnes de CO2 émises. "Alors que nous sommes déjà frappés par les conséquences du dérèglement climatique et qu’on demande aux classes populaires et moyennes de faire des efforts de sobriété énergétique, il n’est pas compréhensible que les stars et les milliardaires s’exonèrent des efforts collectifs et donnent à voir leur mode de vie irresponsable", déclare Attac dans un communiqué. 

Une compensation carbone trompeuse

Les déplacements des célébrités en avion et en bateau, mais aussi l’hébergement du public seraient ainsi responsable de 80% des émissions de CO2 du festival, qui s’élèvent au total à 25 550 tonnes, selon une enquête du média Disclose. Pour réduire son impact, l’événement fait valoir la mise en place de plusieurs mesures, évoquant notamment l’interdiction des bouteilles en plastique ou l’usage d’un tapis rouge recyclable. Mais ce n’est pas tout. Pour compenser ses émissions carbone, le Festival de Cannes finance des projets environnementaux via une contribution prélevée sur les billets d’entrée.

L’un des plus importants est le projet Kariba, qui vise à "protéger près de 785 000 hectares de forêts et de nombreuses espèces sauvages" à la frontière du Zimbabwe et de la Zambie, selon le site de l’événement. Un projet financé à hauteur de 380 695 euros. Le festival se serait pour cela tourné vers South Pole, une entreprise suisse spécialisée dans la vente de crédits carbone. Problème, selon des informations révélées par le média Follow the Money et rapportées par Disclose, le cabinet a "largement surestimé le taux d’émission de CO2 que le projet Kariba devait permettre de compenser".

Si South Pole avance une compensation équivalent à 42 millions de tonnes de CO2, la déforestation liée au site n’aurait généré en réalité que 15 millions de tonnes de CO2. "Quand on regarde dans le détail, le principal projet repose sur du vent. Donc ces grands discours, c'est du greenwashing, ça leur permet de continuer à polluer en ayant bonne conscience", affirme Ariane Lavrilleux, journaliste autrice de l’enquête Disclose, sur France inter le 18 mai dernier. Suite à ces révélations, le Festival de Cannes a annoncé mettre fin à son partenariat avec South Pole et devrait prochainement présenter les nouveaux projets écologiques soutenus pour l’année 2023.

Porter la transition écologique du secteur

Face à ce bilan peu convaincant, le monde du cinéma se veut tout de même porteur d’initiatives engagées. Le 22 mai, le collectif Cut! (Cinéma uni pour la transition écologique) a manifesté sur le tapis rouge pour pousser le secteur à prendre un virage écologique. Réunissant le réalisateur Jérémie Renier, la productrice Julie Amalric ou encore le cinéaste Cyril Dion, le comité a également profité du festival pour dévoiler son manifeste à "mettre en lumière, accompagner et fédérer l’ensemble des initiatives du cinéma qui permettent de garder un mode habitable pour toutes et tous". 

Au programme, la réduction de l’empreinte écologique des productions cinématographiques, la diffusion d’œuvres "dont la priorité est l’impact sociétal", mais aussi la rédaction de récits permettant de créer de nouveaux imaginaires et de sensibiliser le grand public. "Chaque année, l’écologie est la grande absente du cinéma français, alors que nos films et le cinéma ont un pouvoir inestimable de faire évoluer les mentalités", souligne le comité lors d’une conférence de presse.

Florine Morestin