Publié le 12 juin 2015
ENVIRONNEMENT
Crimes environnementaux : jusqu'à 15 ans de prison pour les pollueurs italiens
L’Italie vient d’inscrire le crime contre l’environnement dans son code pénal. La nouvelle loi prévoit jusqu’à quinze ans d’emprisonnement pour les pollueurs et a doublé les délais de prescription. En France, le projet de loi sur le préjudice écologique, remis sur la table en février dernier par la garde des Sceaux Christiane Taubira, est toujours dans les tuyaux ministériels. Il vise à introduire la responsabilité environnementale dans le code civil.

Mario Laporta / AFP
Le 19 mai dernier, le Sénat italien a inscrit la notion de crimes contre l’environnement ("ecoreati") dans son code pénal. Une immense victoire après près de vingt ans de bataille. La loi introduit quatre nouvelles infractions : le délit de pollution de l’environnement, le crime de catastrophe écologique, le crime de trafic ou d’abandon de substances à radioactivité élevée et le délit d’entrave aux contrôles.
Par ailleurs, les délais de prescription ont été doublés et les peines d’emprisonnement prononcées peuvent aller jusqu’à quinze ans.
Une centrale à charbon fermée pour pollution
L’Italie fait figure de précurseur en matière de lutte contre les atteintes à l’environnement. L’année dernière, le procureur de Savone s’était ainsi prononcé pour la mise sous séquestre de la centrale à charbon de Vado Ligure, près de Gênes, pour "mise en danger de la santé et nuisances à l’environnement". Celle-ci appartient à l’électricien italien Tirreno Power, dont Engie (ex-GDF) est actionnaire à 50%.
Le complexe de Vado Ligure se compose d’une centrale à gaz et de deux centrales à charbon de 330 MW chacune. En 2011, une expertise sanitaire et environnementale a été menée sur demande du parquet italien auprès de 156 000 personnes vivant près de la centrale.
442 décès liés aux émissions de la centrale
Il est apparu que les émissions toxiques de gaz ont été à l’origine du décès de 442 habitants entre 2000 et 2007. Entre 1 700 et 2 000 adultes ont également été hospitalisés pour des maladies respiratoires et cardio-vasculaires. Et plus de 450 enfants ont souffert de pathologies respiratoires et de crises d’asthme entre 2005 et 2012.
Cinq personnes, dont l’ancien et l’actuel directeur de la centrale de Vado Ligure, font l’objet d’une enquête pour homicide par imprudence. "Les gestionnaires ont toujours fait ce qui était dans leur intérêt, soutenus par la paresse des organes publics", avait alors estimé le procureur. Celui-ci est également en train d’entendre plus d’une quarantaine de personnes, parmi lesquelles des personnalités publiques locales. Les deux centrales à charbon sont toujours fermées.
Trois ans de prison ferme pour les ex-dirigeants
Quelques semaines plus tard, une autre affaire faisant écho à celle-ci a fait la Une des journaux : celle de la centrale thermoélectrique de Porto Tolle, au nord-est du pays, appartenant à l’électricien italien Enel. Le 31 mars 2014, la justice italienne a condamné ses deux anciens dirigeants à de la prison ferme pour "désastre environnemental et mise en danger de la santé de la population" entre 1998 et 2009.
Il s’agit de Paolo Scaroni, directeur général d’Eni au moment de la condamnation et directeur d’Enel de 2002 à 2005, et de Franco Tato, patron de la centrale entre 1996 et 2002. Tous deux ont écopé de trois ans de prison ferme, de 430 000 euros de dommages et intérêts et d'une interdiction de cinq ans d’exercice dans la fonction publique.
"Cette peine correspond à la capacité que ces dirigeants ont à commettre des crimes. Ils ont agi dans le seul but d’augmenter les profits de l’entreprise, au détriment de la sécurité et de la santé des citoyens", a estimé le juge dans sa décision.http://www.slideshare.net/ilfattoquotidiano/sentenza-enel-bis-2014.
Aujourd’hui, la centrale de Porto Tolle demeure fermée. Les dirigeants d’Enel avaient obtenu une autorisation de réouverture avec un projet de transformation de la centrale, mais celle-ci a été annulée en 2011 par le Conseil d’État.
En France, le préjudice écologique est jurisprudentiel
En France, pour l’instant, la notion de préjudice écologique est encore jurisprudentielle. Elle a été consacrée dans l’affaire de pollution liée au naufrage de l’Erika par la Cour de cassation, dans sa décision du 25 septembre 2012. Le groupe Total, reconnu responsable, avait été condamné à l’amende maximale de 375 000 euros. La compagnie avait également été contrainte de verser 200 millions d’euros de dommages et intérêts, notamment au titre du préjudice écologique.
"En France, il n’y a pratiquement jamais eu de peine de prison ferme dans les affaires de pollution", indique Maître Christian Huglo, avocat spécialiste du droit de l’environnement. Il s’est illustré dans de nombreux procès environnementaux, et notamment dans celui de l’Erika. "Mais il existe la responsabilité de la personne morale, qui permet de faire condamner les maisons-mères. C’est selon moi suffisamment dissuasif. Entre 15 et 20% des personnes morales condamnées le sont dans le cadre d’affaires environnementales."
Un projet de loi attendu pour l’été
En février dernier, Christiane Taubira, la ministre de la Justice, a annoncé – pour la troisième fois – qu’elle allait présenter un texte relatif à la responsabilité environnementale d’ici l’été. Interrogé sur le calendrier, son porte-parole répond : "Le texte de loi sur le préjudice écologique est encore soumis aux travaux interministériels. Le projet avance mais il n’y a pas encore de communication possible en l’État."
Selon Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement, qui s’est procuré le texte, l’avant-projet de loi devrait reprendre les dix propositions faites par le groupe de travail présidé par le Pr Yves Jegouzo. Il avait remis son rapport à la garde des Sceaux en septembre 2013.
Une amende égale à 10% du chiffre d’affaires
Il s’agit d’abord d’inscrire le préjudice écologique dans le code civil et de mettre en place, dans la mesure du possible, une réparation en nature. Le pollueur sera donc forcé de remettre en état les lieux qu’il a dégradés, ou à défaut de financer leur réparation.
Une amende civile pourrait également être mise en place "lorsque l’auteur a commis une faute grave intentionnellement, notamment lorsque celle-ci a engendré un gain ou une économie pour lui". Le but : avoir "un effet dissuasif ". Cette amende ne pourra pas être supérieure à deux millions d’euros. Pour une personne morale, elle pourra atteindre 10% du chiffre d’affaires le plus élevé au cours des exercices précédant le préjudice.
Enfin, le rapport propose la création d’un fonds de réparation environnementale, la spécialisation des juges à l’image des poles financiers ou terroristes, et souhaite ouvrir l’action en réparation à toute la sphère publique, ainsi qu’aux fondations et associations de protection de la nature.
Généralisation des condamnations environnementales dans le monde
Pour Maître Christian Huglo, une nouvelle loi n’est pas forcément nécessaire car compliquée à appliquer, le rôle du juge étant suffisant et adapté au cas par cas : "On assiste à une généralisation des condamnations environnementales, notamment aux États-Unis ou dans les pays d’Amérique du Sud, ces dernières années. Il y a une convergence des décisions des juges, et ce même sans cour pénale internationale de l’environnement."
Une proposition de loi inscrivant la notion de préjudice écologique dans le code civil avait déjà été déposée par le sénateur de Vendée Bruno Retailleau. Adopté par le Sénat en mai 2013, le texte avait ensuite été transmis à l'Assemblée nationale, mais celle-ci n'a jamais procédé à son examen.
Par ailleurs, la France avait adopté une loi de responsabilité environnementale en 2008, transcription d’une directive européenne. "Mais son champ d’application se limite aux préfets, qui n’ont encore jamais eu à l’appliquer" explique Maître Huglo.
Dans ce contexte, l’inscription du crime contre l’environnement dans le code pénal français, comme l’a fait l’Italie, est-elle envisageable ? "Dans les affaires de pollution que j’ai eu à plaider, mon principal adversaire a toujours été l’État français", rétorque Maître Huglo en guise de réponse.
Actualisation 18/06/15 : Dans l'affaire de Tirreno Power, le procureur de Savone a annoncé, à l'issue de son enquête, qu'il n'y avait plus 47 prévenus mais 86, dont plusieurs techniciens et administrateurs des autorités publiques locales.