Publié le 01 octobre 2019
ENVIRONNEMENT
[Décryptage] Incendie de Lubrizol : un immense accident de transparence et communication
Après l’incendie sur le site chimique de Lubrizol, classé Seveso, près de Rouen, les populations locales sont inquiètes pour leur santé quand bien même les autorités garantissent l’absence de toxicité. Il faut dire que ces dernières ont émis des messages rassurants alors que l’ensemble des résultats d’analyse sur la pollution locale n’était pas disponible. Une communication moins infantilisante aurait sans doute permis d’éviter l’émergence d'une psychose autour de fausses informations.

@LouBenoist/AFP
L’impressionnant incendie de l’usine de Lubrizol près de Rouen n’a heureusement fait aucune victime. Mais il s’agit tout de même du plus important accident industriel sur un site chimique depuis celui d’AZF en 2001. Ce site Seveso "seuil haut", à proximité d’une grande agglomération, aurait dû donner lieu à un plan d’urgence finement rodé (confinement, évacuation…), mais qui ne semble qu’avoir été partiellement appliqué.
Il faut dire que d’emblée les autorités ont voulu se montrer très - trop - rassurantes. Dès la mi-journée du jeudi 26 septembre, les pompiers avaient maîtrisé l’incendie, pourtant alimenté par des milliers de tonnes d’hydrocarbures, de lubrifiants et de soude. Mais un panache noir de plus de 20 kilomètres demeurait, recrachant peu à peu sur les agglomérations et les cultures voisines de la suie et des galettes d’hydrocarbures. Au même moment, le ministère de la Transition écologique et solidaire assurait : "Des premières analyses de la qualité de l’air ont été réalisées dès la survenue de l’incendie, qui n’ont pas mesuré de toxicité aiguë de l’air".
Une ville clairement polluée
Une communication un peu hasardeuse. Certes, le risque d’un nuage de chlore ou de mercaptan – comme lors de l’incident de 2013 sur le même site – a été écarté. Mais un incendie d’hydrocarbures est par nature dangereux. Sur place, les vomissements et les céphalées observés chez les plus jeunes, mais aussi chez les pompiers et policiers à proximité du sinistre ne laissent pas de place aux doutes. D’autant plus que la notion de "toxicité aiguë", c’est-à-dire de réaction violente à court terme, n’est pas forcément comprise par la population et a jeté le trouble.
Cette mauvaise information initiale a fait peser des soupçons sur les communications ultérieures du gouvernement. D’abord celle d’Agnès Buzyin, la ministre de la santé, qui, le 27 septembre, constatait que "la ville était très clairement polluée" et recommandait aux riverains de ne pas toucher les traces d’hydrocarbures sans protection. Une déclaration prise comme un désaveu des affirmations antérieures sur l’absence de risque.
Le lundi 30 septembre, c’est le Premier ministre Édouard Philippe qui s’est rendu sur place. Il assure alors que "la qualité de l’air n’est pas en cause. Les odeurs sont dérangeantes, pénibles mais pas nocives". Il ajoute : "Je sais que nous vivons à une époque où la parole publique est souvent mise en cause et décrédibilisée (...) mais en la matière, nous avons fait la transparence totale".
Des résultats à venir
Le problème est que dans le même temps, la préfecture annonçait, selon le principe de précaution, l’interdiction de commercialisation du lait et autres productions agricoles de la zone touchée. Puis, le lendemain, le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume expliquait que les résultats d'analyses sur les suies et pollutions ne seront publiés que "demain (mercredi 2 octobre, ndr) ou après-demain (jeudi 3 octobre, ndr)".
Impossible pour la population locale, légitimement inquiète, de s’y retrouver. Cette communication gouvernementale mal maîtrisée, un peu infantilisante, a fini par faire le terreau de fausses informations, largement relayées sur les réseaux : photos d’oiseaux morts dont on ignore l’origine, vidéo d’une gigantesque explosion (en réalité des images de la catastrophe chimique de Tianjin en Chine en 2015), arrêt des mesures atmosphérique à Rouen (information démentie par Atmo Normandie) ou encore appels à ne plus boire l’eau du robinet (message que ni la ville, ni le CHU de Rouen, ni l’Agence régionale de Santé n’ont jamais émis).
Ludovic Dupin @LudovicDupin