Publié le 04 décembre 2014
ENVIRONNEMENT
A Bhopal, le souvenir de la catastrophe s’efface devant la forte croissance économique
Si son nom évoque dans le monde l’une des plus grandes catastrophes industrielles du XXe siècle, Bhopal a bien changé depuis trente ans. A l’image d’autres villes indiennes de taille moyenne, la capitale de l’Etat du Madhya Pradesh s’est développée pour devenir l’un des centres économiques de la région. Les jeunes générations relèvent ce défi de la croissance, quitte à tourner la page sur la tragédie.

© Sarah Collin / Novethic
"Pour l’anniversaire de la catastrophe, tous les journaux seront publiés en noir et blanc, les victimes manifesteront dans les rues avec des bougies, mais deux ou trois jours plus tard, nous reprendrons nos vies, nos vies normales", explique en toute franchise Adarsh Singh, directeur général du Raj Group. L’entreprise, implantée à Bhopal, édite le "Raj Express", un quotidien local en hindi. Si ses souvenirs de la tragédie de 1984 restent très clairs, sa famille a eu la chance de ne pas être directement affectée par la fuite de gaz.
Le nouveau visage de Bhopal
Syed Aquil Ali, 30 ans, habite lui aussi à Bhopal depuis sa naissance, l’année même de la catastrophe. Pendant son enfance, ce jeune businessman à l’anglais impeccable et à la chemise blanche rentrée dans le jean a souvent entendu parler du drame par son père, travailleur social. Mais sans rien renier du drame, Aquil est fatigué des images d’affliction associées à sa ville natale, notamment à l’étranger. "Je veux que Bhopal montre son nouveau visage", plaide-t-il.
Il y a trois ans, Syed Aquil Ali a créé "Dekho Bhopal" (littéralement "regarde Bhopal"), un journal papier et un site Internet qui donne la parole aux jeunes. La ligne éditoriale est axée sur les informations locales, l’éducation, le divertissement, "mais pas la politique". La formule remporte un vrai succès. "Nous totalisons 15 à 25 millions de vues par semaine sur notre page Facebook", affirme le chef d’entreprise, passionné par l’avenir de sa ville.
11% de croissance au Madhya Pradesh
Dès que l’on sort des quartiers situés à proximité de l’ancienne usine d’Union Carbide, Bhopal ressemble en réalité à beaucoup d’agglomérations indiennes de taille moyenne en plein boom économique. La capitale du Madhya Pradesh, avec ses deux lacs et son climat modéré, mêle dans un rayon de quelques kilomètres le charme poussiéreux d’une vieille ville aux ruelles en terre battue à la modernité des quartiers de "New Bhopal" et ses centres commerciaux rutilants.
En trente ans, Bhopal, et ses presque 2 millions d’habitants, a pratiquement triplé sa population et s’est considérablement développée. Le Madhya Pradesh affiche d’ailleurs cette année une enviable croissance de 11%, remportant la place de l’Etat indien le plus dynamique. Bhopal est notamment le siège d’entreprises florissantes, comme le Dainik Bhaskar, premier groupe de presse indien, ou le Raj Group, lancé en 2005, qui espère lui damer le pion dans la région avec la publication de son "Raj Express".
Une ville dynamique qui grandit vite
Le propriétaire du Raj Group, Arun Sahlot, a fait fortune dans la construction de logements à bas prix à Bhopal, avant se lancer dans les médias. "Ici, l’immobilier est celui d’une ville qui grandit vite. Nous sommes très bien reliés au nord et au sud de l’Inde, et la main-d’œuvre reste peu chère", analyse-t-il. Aujourd’hui, le groupe, qui détient selon son PDG "650 millions d’euros d’actifs", prépare l’ouverture d’une chaîne de télévision pour 2015-2016.
Sous les spots du studio prêt à accueillir les futures émissions d’informations, le mur d’enceinte de l’usine abandonnée d’Union Carbide semble loin. Arun Sahlot le sait, néanmoins: "Des habitants d’Old Bhopal souffrent toujours. Ces familles veulent garder vivant le souvenir de la tragédie, mais nous autres, au quotidien, nous n’y pensons plus vraiment."