Publié le 18 mars 2023
ENVIRONNEMENT
Emmaüs trolle Vinted et Le Bon Coin pour booster les dons
Emmaüs s'est incrusté sur la plateforme Vinted en postant de fausses offres de vêtements à vendre. Objectif : sensibiliser les consommateurs aux dons. Avec l'ascension des plateformes de revente en ligne, l'association reçoit des dons de moins en moins qualitatifs. À tel point que son modèle économique, basé sur le réemploi et l'insertion des salariés, est en péril. "Si ça continue comme ça, dans 10 ans, on ferme boutique", prévient sa directrice générale Valérie Fayard.

Capture d'écran
"Si tu ne le portes pas, donne-le". Les utilisateurs de Vinted, ont dû être surpris, le 16 mars, lorsqu’une certaine "Emma_us" proposait des pièces à 7 euros avec ce slogan détourné "Tu ne le porte plus ? Vends-le" collé sur le dos. Il s’agit en réalité d’une nouvelle campagne signée Emmaüs. L’association de lutte contre l’exclusion et la précarité espère créer un buzz. Et surtout provoquer un électrochoc, car l’heure est grave.
"On constate aujourd’hui une dégradation de la qualité des dons. Il y a 20 ans, quand on collectait 100 tonnes de vêtements et objets, on en réemployait 60. Aujourd’hui, on remet seulement 40 tonnes sur le marché, le reste part au recyclage", explique à Novethic Valérie Fayard, directrice générale déléguée de l’association. Au total, ce sont 64 millions de kilos d’objets et de vêtements en bon état qui partent vers d’autres filières, échappant à Emmaüs.
Exemple de produit mis faussement en vente sur Vinted par Emmaüs pour alerter les consommateurs sur l'importance des dons.
"Notre modèle économique est attaqué"
La faute à qui ? En grande partie aux plateformes d’e-commerce type Vinted ou Le Bon Coin qui ont modifié les comportements des Français. Désormais, la première option est de vendre plutôt que donner. Le don arrive en second choix, la qualité baisse. D’autant que les plateformes de revente ne sont pas les seules sur le marché de l’occasion. De Zara à Balenciaga en passant par Shein, la seconde main est partout.
Mais derrière ce virage "vert", les plateformes de seconde main et les marques qui ouvrent des "friperies" sont accusées de "pousser à l’hyperconsommation", expliquait récemment à Novethic Elodie Juge, docteure en sciences de gestation à l’université de Lille. "Les gens se déculpabilisent d’acheter du neuf en se disant qu’ils pourront le revendre ensuite".
Interrogée par l’AFP, la plateforme Vinted argue offrir une "alternative aux nouveaux vêtements". Elle affirme par ailleurs être "convaincue qu’il n’y a pas un modèle unique de remise en circulation des biens, et de la place pour que plusieurs initiatives en ce sens coexistent". En attendant, "si ça continue comme ça, dans 10 ans, on ferme boutique. Car c’est notre modèle économique qui est attaqué", prévient Valérie Fayard.
Emmaüs à la conquête des jeunes
Car au-delà de l’engagement écologique, c’est surtout un projet solidaire que porte Emmaüs depuis 70 ans. Les recettes de l’association servent en effet à employer des salariés en insertion notamment. 70 000 personnes sont accueillies, hébergées, aidées ou accompagnées vers l’emploi grâce à Emmaüs, défend l’association. "Il faut qu’Emmaüs garde sa place de leader, il ne faut pas que la start-up nation prenne les devants", anticipe Valérie Fayard.
D’autant qu’Emmaüs perd en notoriété. Chez les jeunes, l’association est peu connue, reconnaît la directrice générale. D’où le lancement de la plateforme Trëmma en février 2021 qui permet de donner ou d’acheter des vêtements sur le modèle de sites des géants d’e-commerce. Principale différence avec les autres places de marché en ligne : si l'objet trouve preneur, "le produit de la vente est reversé au projet de solidarité que le donateur a choisi". "Lutter contre le changement climatique en le dissociant des enjeux sociaux, c’est une erreur" résumait à Novethic Maud Sarda, la directrice de Label Emmaüs, un autre site d’e-commerce solidaire lancé par l'association, dont le catalogue est exclusivement alimenté par les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS).