Publié le 01 septembre 2023
ENVIRONNEMENT
Raréfaction de l'eau : "Nous n’avons toujours pas compris l’ampleur du défi qui nous attend", alerte l'hydrologue Charlène Descollonges
Une France à sec. Alors que plus des deux tiers des nappes phréatiques du pays sont sous les normales de saison, la question du partage de l'eau est devenue un sujet hautement politique. Pour Novethic, Charlène Descollonges, ingénieure hydrologue et auteure de "L'eau : Fake or not ?"*, revient sur notre rapport à ce bien commun, souvent mal géré, et pourtant vital aux êtres vivants.

Clémentine Gras
Quel est l’état actuel de notre ressource en eau ?
Charlène Descollonges : L’hiver 2023 n’a pas permis la recharge effective des nappes, et il succédait à un été 2022 marqué par une sécheresse remarquable. Donc nous faisons face aujourd’hui à une succession de sécheresses qui affecte particulièrement les nappes. Et à ce niveau-là, nous sommes dans une situation très critique. D’autant plus que nous les sollicitons beaucoup pour nos usages, mais aussi pour l'agro-industrie et pour le secteur industriel. Ces usages nécessitent une bonne qualité de l’eau et l’eau emprisonnée dans les nappes l’est puisqu’elle est protégée des pollutions de surface. Mais, le problème est que ces nappes ne se rechargent plus ou pas suffisamment.
La situation est-elle identique sur tout le territoire ?
C. D. : Il y a un cumul de toutes les sécheresses, que ce soit météorologique, agricole, hydrologique ou encore des nappes phréatiques, mais la situation est très hétérogène en ce moment en France. Cela s’explique notamment par le cumul des pluies des dernières semaines. Il y a donc aujourd’hui une fragmentation du pays, entre un nord plutôt humide et une région sud très sèche, voire aride.
Face au risque accru de pénurie d’eau, allons-nous devoir choisir entre boire et produire ?
C. D. : En France, près des trois-quarts de l’eau douce que l’on pompe l’est pour alimenter notre économie, à la fois pour produire de l’énergie, des biens industriels et des produits alimentaires. C’est ce que j’appelle le triptyque "eau – énergie – alimentation". Et le secteur énergétique est le premier consommateur d’eau douce, sans elle, aucune énergie ne peut être produite. D’ailleurs, plus de la moitié de l’eau douce prélevée sert en France pour le refroidissement des centrales électriques. Une partie d’entre elles sont en circuit ouvert, c’est-à-dire qu’elles prélèvent de l’eau qu’elles rejettent, tandis que certaines centrales sont en circuit fermé et consomment énormément d’eau. Alors que nos ressources en eau sont de plus en plus limitées, nos modes de production en énergie en restent très gourmands. Et plus on aura besoin d’électricité, plus on aura besoin d’eau, et moins il y en aura pour le reste. Notamment l’agriculture.
Cette situation risque donc d’entraîner des conflits d’usage alors que nous avons longtemps cru que cette ressource était infinie ?
C. D. : Nous n’avons toujours pas compris l’ampleur du défi qui nous attend. L’été dernier, il y a eu une prise de conscience en France lorsque nous avons découvert que des communes en France pouvaient n’avoir plus d’eau potable pour ses habitants. Dans cette situation critique, nous nous sommes aussi rendu compte que nous avions besoin d’eau pour absolument tout. Mais la vraie question que nous allons devoir obligatoirement nous poser est : est-ce que l’on aura suffisamment d’eau pour répondre à tous nos besoins ? Et cela est assez nouveau.
Usines de dessalement de l'eau de mer, mégabassines, retenues collinaires... plusieurs propositions sont sur la table. Va-t-on dans la bonne direction ?
C. D. : Ces solutions donnent l’illusion qu’on aura toujours des solutions à apporter pour continuer à satisfaire nos besoins toujours plus gourmands en eau, ce qui nous empêche de repenser notre besoin et nos usages. Parmi les solutions avancées, il y a les solutions de stockage, que sont les mégabassines ou les retenues d’eau pour la production de neige artificielle. Mais il s’agit surtout de solutions de mal adaptation car on ne se tourne toujours pas vers des modèles de sobriété, plus résilients, et l’on aggrave la situation en perturbant encore plus le cycle naturel de l’eau. Et les solutions technologiques, comme la réutilisation des eaux usagées, peuvent par endroit être pertinents, mais ce n’est pas le cas des usines de dessalement, très énergivores, coûteuses et qui génèrent beaucoup de rejets toxiques pour les écosystèmes environnants.
Dans votre livre, vous appelez à plus de sobriété. Sur ce point, le gouvernement semble vous rejoindre avec son nouveau "Plan eau". Est-il à la hauteur des enjeux ?
C. D. : Malheureusement non. Il s’agit d’un plan d’urgence, court-termiste, techno-solutionniste qui ne s’attaque qu’à l’eau bleue (eaux souterraines, lacs,… NDLR), et oublie complètement la question de l’eau verte (eaux de pluie qui s'infiltrent dans les sols avant de s’évaporer depuis la végétation, NDLR) et de la manière dont on va pouvoir la régénérer. On met des millions d’euros pour réparer les fuites, pour installer des systèmes de goutte-à-goutte pour l’agriculture, et c’est très bien, mais c’est loin d’être suffisant. Car dès qu’il s’agit de restaurer les zones humides et les forêts, qui aident à restaurer ce cycle de l’eau que l’on a fortement dégradé, c’est flou. Or c’est le cœur du sujet.
Propos recueillis par Blandine Garot
*Charlène Descollonges, "L’Eau, fake or not ?", éditions Tana, 120 pages, 13,90 euros.