Publié le 17 juin 2014

ENVIRONNEMENT

Eau potable : l'autre défi de l'Ukraine

Le nouveau président ukrainien Petro Porochenko a pris ses fonctions le 7 juin. Sa priorité : rétablir la paix, la sécurité et l’unité dans le pays, tandis que les violences se poursuivent dans l’est du pays. Aucune question environnementale n’a été abordée pour le moment. Mais les nouvelles autorités, qui souhaitent rejoindre l’Union Européenne vont devoir faire face à une situation de plus en plus critique concernant l’eau.

Test toxicite Dniepr Ukraine
Sur les berges du Dniepr, près de la ville de Nova Kakhova, des volontaires de l'association MAMA-86 procèdent à des analyses du niveau de nitrates et d'oxygène.
© Mama 86

L’accès à une eau potable de qualité n’est pas assuré partout en Ukraine. Loin de là. Selon le dernier rapport national consacré au sujet, un peu moins d’un quart des échantillons prélevés ne répondaient pas aux normes de potabilité chimique. Et moins d’un cinquième à celles de potabilité bactériologique.

Les statistiques officielles sous-estiment largement le problème. "La qualité se dégrade, principalement à cause de la contamination des eaux de surface – rivières, fleuves – par les activités humaines et le vieillissement des installations de traitement de l’eau", résume le chimiste Zakhar Maletskyi, membre de l’International Water Association et cofondateur de l’ONG ukrainienne WaterNet.

Depuis près de quatre ans, cette association de professionnels du traitement de l’eau collecte des échantillons. Principale source publique de données sur la qualité de l’eau, elle en a analysé 20 000, qu'elle a soumis à au moins 5 indicateurs.

 

Des nitrates dans les eaux de source

 

La situation est particulièrement préoccupante dans les zones rurales, avec une forte présence de nitrates dans les puits. Ce composé chimique utilisé dans les engrais peut migrer à 10-15 km des terres agricoles. "C’est d’autant plus problématique que les gens ne sentent rien, même une eau qui a bon goût peut en contenir", précise Zakhar Maletskyi. S’il est présent en trop grande quantité dans le corps humain, il peut bloquer le transport d’oxygène dans le sang et entraîner, en particulier chez les nourrissons, le "syndrome du bébé bleu", mortel, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Plus de la moitié des échantillons d’eau de puits analysés par WaterNet dépassent la norme ukrainienne, qui fixe une concentration maximale de 50 mg/l – cinq fois plus élevée que celle en vigueur aux Etats-Unis. Près des deux tiers contiennent aussi une eau trop dure (calcium et magnésium) et 30 % du manganèse à un taux supérieur aux normes, particulièrement durant les crues printanières.

Cette impureté, qui peut avoir un impact sur le système nerveux, est également présente en grande quantité dans les eaux de source – 74 % des prélèvements dépassant la norme. En outre, celles-ci concentrent en général une teneur en fer trop élevée, qui a pour principal inconvénient de jaunir l’eau et lui donner une odeur et un goût caractéristiques.

 

Des rejets organiques dans l’eau du robinet

 

Pompée à 80 % dans les fleuves et rivières, l’eau du robinet présente quant à elle des excès de matières organiques. A Kiev par exemple, plus de 70 % des échantillons atteignent ou dépassent les seuils limites en termes d’odeur et de couleur, et un tiers celui de turbidité (transparence de l’eau).

Si elles ne sont pas dangereuses en elles-mêmes, ces substances présentent surtout des risques lorsqu'elles réagissant chimiquement avec des produits de désinfection de l’eau tels que le chlore, utilisés à l’excès par les usines de traitement ukrainiennes pour lutter contre d’éventuels virus ou bactéries.

De nombreuses publications scientifiques mettent en évidence des risques de cancer dus à l’absorption de ces sous-produits de la désinfection. "Il faudrait d’abord arrêter de polluer nos rivières, nous les utilisons pour alimenter le système d’eau potable, mais nous y déversons des eaux usées mal traitées", s’indigne Anna Tsvietkova, coordinatrice des programmes "Eau" de l’ONG Mama-86, qui réalise depuis 1990 des projets sanitaires au niveau local et exerce un lobbying auprès des autorités.

Officiellement, près d’un tiers des eaux usées sont déversées alors qu'elles ne respectent pas les conditions de sécurité sanitaire. Le chiffre réel est bien plus élevé. Ajoutés aux eaux domestiques, une cinquantaine de grands centres industriels évacueraient directement leurs effluents dans le fleuve Dniepr, source d’eau potable pour une large majorité de la population. "En outre, toutes les infrastructures ont été construites il y a plus de cinquante ans, affirme la militante. La vétusté des canalisations entraîne même une seconde contamination après la production de l’eau par l’usine."

 

Des installations vétustes

 

Les normes nationales pour la qualité de l’eau, qui dataient de 1972, ont été modifiées en 2010 en vue d’une harmonisation avec l’ Union Européenne (UE). Mais la plupart n’entreront en vigueur qu’entre 2015 et 2020. Conscientes du problème, les autorités ont lancé des programmes pour améliorer les ressources en eau. Le plus ambitieux, baptisé "L’eau potable de l’Ukraine" pour la période 2011-2020, prévoyait notamment un inventaire des usines de traitement des eaux usées, l’expérimentation de nouvelles technologies, l’équipement des laboratoires de contrôle, etc.

"Mais aucun budget fixe n’est alloué à ces programmes et, ces deux dernières années, pas un centime n’est allé à l’eau potable, à cause de la crise économique et des problèmes de corruption", explique Anna Tsvietkova. Officiellement, près de 52 000 kilomètres de conduites ont besoin d’être remplacées, des chiffres encore sous-estimés selon les spécialistes. Outre la pollution, plus de 40 % de l’eau distribuée part dans la nature.  

 

Eau propre : une priorité après le retour au calme ?

 

"J’espère que l’eau deviendra une priorité du nouveau gouvernement", poursuit la coordinatrice. En mai dernier, avant les élections présidentielles, le ministère du Développement régional a évalué à 60 milliards de grivnas (3,7 milliards d’euros) le coût de la remise à niveau des usines de traitement. En quasi-faillite, l’Etat ne peut financer ces investissements, tandis que les tarifs des services de l’eau ne couvrent que 60 à 70 % des frais d’approvisionnement.

La somme ne pourrait être avancée que par des organisations financières internationales, et seulement après le retour au calme sur tout le territoire.

Jeanne Cavelier, envoyée spéciale en Ukraine
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