Publié le 25 juin 2015
ENVIRONNEMENT
Risque climatique : les agences de notation appelées à la vigilance
Leur responsabilité a largement été reconnue dans la crise financière de 2008. Les agences de notation sont-elles sur le point de reproduire les mêmes erreurs en minimisant les risques liés au réchauffement climatique ? C’est la question que se posent les experts du CIEL (Center for international environmental law) dans un rapport publié mercredi 24 juin. De leur côté, Standard & Poor’s et Moody’s multiplient les signaux pour montrer qu’elles sont conscientes des enjeux liés au réchauffement global.

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Elles jouent un rôle central dans le système financier international. Les agences de notation ne semblent pourtant pas prendre suffisamment en compte les risques liés au réchauffement climatique. C’est en tout cas ce qu’affirme le CIEL (Center for international environmental law) dans un rapport publié mercredi 24 juin. Pire, les agences de notation pourraient reproduire les mêmes erreurs que celles commises pendant la crise des crédits subprimes de 2008, à l’origine d’une crise financière mondiale.
Méthodologies basées sur un business as usual
"Les énergies fossiles sont en voie de disparition. En exagérant les notes attribuées à certaines activités, les agences de notation mettent en péril le marché, les investisseurs mais aussi l’économie dans son ensemble", estime Niranjali Amerasinghe, directeur du programme Énergie et climat au sein du CIEL. "Elles incitent les investisseurs à continuer de soutenir des activités responsables du changement climatique, menaçant nos écosystèmes et les vies de milliers de personnes qui en dépendent."
Les auteurs du rapport ont épluché les méthodologies utilisées par les agences de notation pour attribuer leurs notes. Leur constat ? Ces agences s’appuient sur un scénario business as usual qui conduit à un réchauffement global de 4 degrés. Or, près de 200 États s’apprêtent à se réunir à la fin de l’année à Paris (COP 21), pour trouver des moyens d’action afin de contenir le réchauffement sous la barre des 2 degrés. "Les agences de notation échouent à évaluer le risque réel du réchauffement climatique, tout comme elles ont échoué à prendre en compte le risque réel des subprimes" peut-on lire dans le rapport.
Moody’s donne un Baa3 à un projet très émetteur de CO2
L’agence de notation Moody’s est ainsi pointée du doigt pour son évaluation de l’obligation émise par le groupe indien Adani pour financer un terminal d’exportation de charbon en Australie, à hauteur de 150 millions d’euros. Ce projet très émetteur en CO2, dans le bassin de Galilée, comporte par ailleurs l’exploitation de neuf mines de charbon. Sous la pression des ONG, de nombreuses banques, dont BNP Paribas, Société générale et Crédit agricole se sont retirées.
En octobre dernier, Moody’s a accordé à cette obligation la note Baa3. Une note à la limite des obligations dites spéculatives, mais encore dans les "investment grade", c'est-à-dire un risque acceptable pour les investisseurs.
"C’est choquant mais pas surprenant", réagit Matthieu Auzanneau, chargé de la prospective au Shift Project. "Pour certaines agences de notation, l’énergie d’avenir reste le charbon, soit l’énergie la moins chère. Cette année, il y a malgré tout eu plusieurs signaux encourageants, mais il est dommage de voir que le monde financier est le dernier à s’y mettre."
La bulle carbone estimée à 28 000 milliards de dollars
À ce jour, parmi les agences de notation, seule Standard & Poor’s (S&P) a déclaré qu’elle avait l’intention de prendre en compte le risque climat dans ses analyses. En février dernier, l’agence avait accepté de verser 1,4 milliard de dollars au Département de la justice américain et à 19 États pour avoir trompé les investisseurs sur la qualité des crédits immobiliers subprime. Une responsabilité juridique qui pourrait réapparaître si les agences de notation n’anticipent pas assez les risques climatiques, préviennent les experts du CIEL.
L’agence Moody’s a quant à elle publié en mars dernier un rapport indiquant que les politiques de réduction d’émissions de carbone avaient un impact croissant dans le monde : "Cela crée des risques de crédit pour les entreprises à forte intensité carbone, et une incertitude qui peut entraver les décisions d'investissement et les flux des investisseurs." Ce rapport s’inscrit dans une démarche plus globale de l’agence, qui dit "intensifier" sa prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans ses analyses.
Selon les analystes financiers de Kepler Cheuvreux, un accord climatique limitant le réchauffement de la planète à 2 degrés occasionnerait 28 000 milliards de dollars de pertes pour les détenteurs d’actifs dans les industries du pétrole, du gaz et du charbon.