Publié le 03 septembre 2015

ENVIRONNEMENT

Protocole de Kyoto : comment une partie du dispositif a échoué à réduire les émissions de gaz à effet de serre

Une étude de l’Institut de Stockholm pour l’Environnement (SEI), publiée lundi 24 août, révèle que le mécanisme de la Mise en œuvre Conjointe (MOC) du protocole de Kyoto n’a pas forcément réduit les émissions de gaz à effet de serre (GES). Le SEI estime en effet que la différence entre les réductions attendues et les réductions réelles pourrait s’élever à 600 millions de tonnes de CO2.

Photo d'illustration
istock

La Mise en œuvre Conjointe (ou Joint Implementation en anglais) est l’un des trois programmes de flexibilité du protocole de Kyoto, destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre des pays signataires (Annexe I) sur la période 2005-2020. Celle-ci permet aux États d’atteindre une partie de leurs objectifs en finançant des projets qui font baisser les émissions dans d’autres pays. Un État occidental pourra par exemple remplir en partie son objectif de réduction en dehors de ses frontières en finançant les énergies renouvelables dans un pays d’Europe de l’Est. Après estimation de la réduction des émissions permise par le projet financé, les pays financeurs obtiennent des crédits carbone équivalents, appelés URE (Unité de réduction d’émissions).

Jusqu’en mars 2015, environ 872 millions d’URE ont été émises, permettant aux divers financeurs de récupérer autant de crédits carbone. Le problème, selon l’étude du SEI, est que la qualité environnementale des projets soutenus n’est pas contrôlée. "La Mise en œuvre Conjointe souffre d’un manque de supervision et de qualité depuis longtemps. Cette étude a probablement donné le coup fatal à ce programme tel que nous le connaissons" a déclaré Eva Filzmoser, directrice du Carbon Market Watch, une ONG militante.

Tous les projets financés ne contribueraient pas à réduire les émissions, loin de là. Parmi les 60 projets étudiés au hasard par le SEI, 73 % d’entre eux ne contribueraient pas à réduire les émissions de GES (dans ce cas, le projet est dit "non additionnel"). Pourtant, en échange de ces financements ont été émis des crédits carbone. "C’est comme si on faisait marcher la planche à billets", note Vladyslav Zhezherin, consultant indépendant et co-auteur de l’étude. Cela revient donc à donner des droits à polluer d’un côté sans baisse des émissions pour compenser de l’autre.

 

Une "erreur" aux origines du protocole de Kyoto

 

Pour comprendre le phénomène, il faut remonter aux origines du protocole de Kyoto. Lorsque celui-ci a été créé, chaque pays a hérité d’un objectif de réduction de ses propres émissions, sous forme d’obligations. Seulement, ceux de la Russie et de l’Ukraine se basaient sur les émissions datant de l’Union Soviétique. Après la chute de celle-ci, nombre d’usines polluantes et non-rentables ont dû fermer, faisant massivement baisser leurs émissions. Ayant déjà atteint et même dépassé leurs objectifs de réduction, ces deux pays ont donc hérité d’un surplus de droits à polluer, qu’il était possible de revendre aux autres pays, notamment via le système européen de crédit carbone (ETS).

Après l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto en 2005, chaque pays signataire a mis en place ses propres procédures afin de vérifier l’additionnalité des projets financés. C’est donc le pays financeur qui contrôle le potentiel de réduction des émissions desdits projets.

Les pays qui doivent réduire leurs émissions ont en effet tout intérêt à vérifier que les projets soutenus à l’étranger leur donneront droit aux crédits carbone dont ils ont besoin. Ce qui n’est pas le cas des pays comme la Russie ou l’Ukraine, qui disposent d’un "matelas" de crédits carbone. Ainsi, de nombreux projets financés en Ukraine et en Russie ont, selon l’étude du SEI, une additionnalité "peu plausible".

 

Fausses émissions et baisse du prix du carbone

 

Parallèlement, selon un article paru dans Nature, les auteurs de l’étude notent que la Mise en œuvre Conjointe a également entraîné des effets "pervers". Ainsi, plusieurs usines de l’industrie chimique rejetant deux puissants gaz à effet de serre (HFC-23 et SF6) ont intentionnellement augmenté leurs émissions dans le seul but de récupérer des crédits carbone.

Autre effet indirect du mécanisme, l’émission d’un grand nombre de crédits carbone issus de projets douteux a pu contribuer à faire baisser le prix de la tonne de carbone. "Cela signifie que des projets viables ayant réellement besoin de crédits carbone ont pu souffrir d’une baisse des prix", d’après Lambert Schneider, associé au SEI et co-auteur de l’étude.

Les chercheurs du Stockholm Environment Institute estiment que deux tiers des URE issues de projets non-additionnels ont été revendus sur le marché européen de crédits carbone, l’ETS (Emissions Trading System). Ce sont donc potentiellement des droits à polluer pour 400 millions de tonnes de CO2 qui ont été délivrés sur le marché européen, sans réductions compensatoires.

La "faille" du protocole de Kyoto, si on peut la qualifier ainsi, réside dans la répartition des obligations de réductions données pour chaque pays. En donnant à la Russie et à l’Ukraine l’opportunité de revendre ces crédits sans réduire leurs émissions, l’allocation des crédits a créé une exception non-gérée par le fonctionnement de la Mise en œuvre Conjointe (MOC).

Ou comment le protocole de Kyoto s’est tiré une balle dans le pied.

Gary Dagorn
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