Publié le 30 juillet 2021
ENVIRONNEMENT
Nouvel activisme climatique : les scientifiques sortent de leur réserve et poussent à l'action
Face à l'urgence climatique, les scientifiques sortent de la réserve prônée dans la discipline pour s'investir dans le débat public. Certains misent sur les réseaux sociaux et la sensibilisation, alors que d'autres n'hésitent pas à appeler à la désobéissance civile face à l'inaction des gouvernements. Toute la semaine, Novethic explore les nouvelles formes d'activisme climatique qui prennent de l'ampleur en France.

@Artem Peretiatko / Istock
"On a le sentiment que les journalistes et le monde découvrent cette urgence et se disent 'on ne nous l'avait pas dit'. Et bien si, on vous l'avait dit !" s’exclame l'éminent climatologue Jean Jouzel, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), sur le plateau de LCP début juillet en réaction aux inondations monstrueuses qui ont touché la Belgique et l’Allemagne.
Depuis la fin des années 60, les scientifiques alertent sur le réchauffement climatique induit par les activités anthropiques. Mais alors que les études alarmantes s’amoncellent chaque semaine, les mesures politiques ne sont pas à la hauteur de l’urgence et les émissions de gaz à effet de serre continuent à croître à l'échelle mondiale. Face à ce constat, les scientifiques sont pris entre deux feux.
D’une part l’urgence à agir. De l’autre, la nécessité de se conformer à l’idée ancrée que la science se doit d’être neutre, que les scientifiques gagnent en crédibilité en maintenant ses distances avec le politique. En témoigne le mandat du GIEC, qui stipule que l’instance onusienne de référence en matière d'études sur le climat est chargée d'évaluer "sans parti pris et de manière méthodique et objective" l’information scientifique disponible, rapporte le site du gouvernement français.
De la sensibilisation à l'action directe
Mais face à l’ampleur de l’enjeu, les scientifiques sont de plus en plus nombreux à questionner leur réserve. Certains misent sur la sensibilisation par le biais des médias mais aussi des réseaux sociaux, comme la co-présidente du GIEC Valérie Masson-Delmotte, qui utilise son compte Twitter, suivi par près de 30 000 personnes, pour vulgariser l'information sur le climat et lutter contre les fausses informations. Début juillet, elle lançait un mouvement de signalement au Conseil supérieur de l’audiovisuel, autorité de contrôle des médias, au sujet d'infox diffusées sur la chaîne de télévision CNEWS.
D’autres prennent parti dans le débat public. En janvier 2020, le climatologue Christophe Cassou déplorait sur Twitter la condamnation des militants ayant décroché des portraits d’Emmanuel Macron pour dénoncer sa politique environnementale : "quel aveuglement !", s’exclamait-il, s’étonnant que face à l’urgence, ce geste puisse être considéré comme un délit. Un mois plus tard, face à l’"inertie" des gouvernements successifs, 1 000 scientifiques poussaient à l’action, lançant un appel à la "désobéissance civile", et soutenant explicitement les actions de l’association Extinction Rebellion.
L'air que ns respirons, le climat ou ns vivons, font partie de notre "commun" & touchent l'universel. Rappeler par le symbole et la non-violence, toute la fragilité de ce commun & l’impérative nécessité de le protéger, reste un délit en France. Quel aveuglement! https://t.co/ClMw9UQK72
— Christophe Cassou (@cassouman40) January 14, 2020
Un devoir et un rôle à jouer
Pour certains, agir est devenu un devoir. Plus d'une centaine de scientifiques ont signalé participer à la grève scolaire du 15 mars 2019 face à l’inaction des gouvernements, estimant dans une tribune que l’engagement est "devenu pour ceux qui possèdent une parcelle de savoir, un impératif moral et politique". Une évidence même, pour l’astrophysicien et militant écologiste Aurélien Barreau interviewé dans le journal Le Monde : "La vie périclite sur Terre et l’on se demande s’il est bien raisonnable que les scientifiques interviennent dans le débat public. C’est scandaleux de se poser cette question".
Le chercheur en sciences sociales au Cirad et ingénieur agronome de formation Sélim Louafi rejette cette "dichotomie" qui pourrait exister entre science et politique. "L’idée que la connaissance est neutre est une fiction tenace", souligne-il. "On blâme les politiques, mais la science a aussi un rôle à jouer", à condition qu’elle "accepte et assume sa dimension politique" et dépasse son sa dimension actuelle d’alerte et de cautionnement. Avec la possibilité que cet engagement soit porteur : selon un sondage d'Harris Interactive, 91% des Français déclarent faire confiance à la science, et 77% s'en remettent à elle pour protéger l'environnement.
Pauline Fricot, @PaulineFricot