Publié le 03 juillet 2022
ENVIRONNEMENT
"Non, il ne faut pas arrêter de faire des enfants pour sauver la planète", selon Emmanuel Pont
"Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ?". C'est la question à laquelle répond Emmanuel Pont dans son dernier livre alors que nous serons bientôt 8 milliards d'êtres humains sur Terre. Il revient ainsi sur l’étude polémique de 2017 qui avait évalué le "poids" écologique d’une naissance à 60 tCO2 par an, autrement dit le même bilan que six "Français moyens". "Comparer la naissance d’un enfant à l’achat d’une voiture est absurde", plaide-t-il.

@Emmanuel Pont
Quelles sont les limites de l’étude très médiatisée de 2017 qui conclut qu’avoir un enfant en moins est la manière la plus efficace de réduire son empreinte carbone ?
À l’origine, cette étude publiée dans la revue scientifique Environmental Research Letters, visait à relayer auprès des écoliers, les principales actions individuelles à mener pour le climat. Elle reprend des analyses de cycle de vie classiques pour comparer des gestes ordinaires comme acheter une voiture ou prendre l’avion. Concernant les enfants, ils ont calculé l’héritage carbone d’un enfant, basé sur les émissions hypothétiques à long terme, ce qui est contestable. Un parent est ainsi considéré comme responsable de la moitié des émissions de chacun de ses enfants, du quart de celles de ses petits-enfants et ainsi de suite. Résultat, la naissance d’un enfant équivaut à 60 tonnes de CO2 par an, autrement dit le même bilan que six "français moyens", ce qui est énorme. Ensuite, il faut multiplier par l’espérance de vie et par deux pour chacun des parents ce qui débouche sur un héritage carbone d’un enfant de 10 000 tCO2.
Ce calcul n’a rien à voir avec une analyse de cycle de vie. Comparer la naissance d’un enfant à l’achat d’une voiture est absurde, avoir un enfant n’est pas une décision de consommation du même ordre. Ce calcul pose aussi des questions plus profondes sur l’angle individuel ou sociétal des émissions. Assigner toutes les émissions au choix individuel d’avoir un enfant escamote tous les enjeux politiques et économiques.
Vous proposez un autre modèle pour calculer le coût écologique d’une naissance ?
Oui, j’ai refait les calculs sans compter les émissions à très long terme car cela n’a pas de sens. On peut ainsi considérer que les émissions d’un individu qui naît aujourd’hui seront d’une tonne de CO2 par an. C’est 60 fois moins que l’étude de 2017 mais ce n’est pas non plus négligeable. Par ailleurs cette moyenne peut être réduite ou augmentée en fonction des choix de vie. Mais les enfants sont autre chose que de simples bilans carbone sur pattes ! On peut aussi espérer qu’ils feront le bien de l’humanité.
Cela pose-t-il aussi la question de la pression sur les limites planétaires ?
Oui, les individus ont, par exemple, un poids sur la biodiversité qui peut être réduit plus ou moins facilement. Ce poids est très lié à notre système alimentaire et en particulier notre consommation de viande. L’humanité utilise la moitié de la superficie terrestre habitable pour se nourrir, dont les trois quarts sont consacrés à l’élevage. Si demain on avait "la possibilité" de rendre tout le monde végétarien, tout d’un coup on diviserait par quatre les surfaces cultivées alors que si on instaure l’enfant unique il faut attendre 2100 pour diviser par deux la population. C’est un levier extrêmement lent et vu l’urgence écologique ce n‘est clairement pas ce qui va nous aider aujourd’hui. Donc, pour sauver la planète, il ne faut pas arrêter de faire des enfants. Mieux vaut par exemple encourager les régimes végétariens plutôt que chercher à contrôler les naissances !
Alors d’où vient cette crainte d’une surpopulation de la planète ?
Cette idée n’est pas totalement infondée : si on est moins, c’est forcément plus facile de rendre l’humanité plus soutenable. Mais la différence serait faible, et cette vision pose des questions politiques délicates. On a hérité d’une idéologie longtemps dominante, où l’on trouvait normal de contrôler les naissances des "races inférieures", des handicapés…du pur eugénisme ! Paul Ehrlich et son livre à succès "la Bombe P" dit en substance qu’on n’aura pas assez pour nourrir tout le monde, que plein de gens vont mourir de faim et qu’il faut soit stériliser en masse, soit laisser mourir de faim les plus pauvres. Cette idée sert facilement à justifier les pires choses. Par exemple, des tueries sont régulièrement inspirées par ce type d’idéologie. C’est d’autant plus absurde que les populations visées (souvent les Africains) sont celles qui font le plus d’enfants mais dont le poids écologique est de loin le plus bas.
Propos recueillis par Mathilde Golla @Mathgolla