Publié le 13 novembre 2015

Cop21 l entretien

ENVIRONNEMENT

Mark Tercek (The Nature Conservancy): "il y a désormais une vraie conscience des risques liés au changement climatique aux Etats-Unis"

Les Etats-Unis, deuxième pays émetteur de CO2 au monde, seront un acteur-clé de la COP21, la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, qui débute dans deux semaines à Paris. Outre-Atlantique, si les négociations en elles-mêmes ne mobilisent pas les foules, la question climatique est désormais bien intégrée par la société civile, l'administration et les entreprises, estime Mark Tercek. Cet ancien banquier de chez Goldman Sachs est le président de The Nature Conservancy, l'une des plus importantes ONG écologistes américaines. Entretien.  

Mark Tetcek credit Dave Lauridsen bon The Nature conservancy
Mark Tercek
crédit Dave Lauridsen

Novethic. Dans un sondage réalisé il y a un an, 52 % des Américains exprimaient une position climato-sceptique, un record dans le monde. En un an, la société américaine s'est-elle convertie à la lutte contre le changement climatique ?  

Mark Tercek. Je ne suis pas sûr que "Monsieur-tout-le-monde" soit au fait des enjeux précis de la COP21. Mais il y a désormais une vraie conscience des risques liés au changement climatique et de la nécessité d'agir.  

Récemment, nous avons noté plusieurs signaux positifs qui témoignent d'un vrai engagement américain. Le "Clean Power plan" (la réglementation qui prévoit une baisse de 32 % des émissions de CO2 liées à la production d’électricité, NDLR) est un programme très ambitieux et bien construit. Il laisse à chaque Etat une marge de manœuvre suffisante pour atteindre les objectifs fixés mais selon ses propres règles. Cela va devenir un vrai laboratoire pour expérimenter différentes politiques environnementales.  

Il faut aussi insister sur l'importance de l'accord signé il y a presque un an par le président Obama avec la Chine. Souvent aux Etats-Unis, on entendait : "pourquoi est-ce qu'on devrait s'engager alors que la Chine ne le fait pas ?". C'était une bonne question. Désormais, on a une bonne réponse à fournir.  

Enfin, la pression exercée par les maires et les gouverneurs sur la politique américaine est de plus en plus forte. Ils réclament des actions environnementales à Washington notamment parce qu'ils sont directement exposés aux catastrophes climatiques et qu'ils n'ont pas le luxe de se perdre en débats sans fin.  

 

Novethic. Les entreprises américaines sont de plus en plus nombreuses à s'engager publiquement dans la lutte contre le changement climatique. Cet engagement est-il réel ?

Mark Tercek. Oui, il faut donner du crédit à cet engagement, c'est un vrai moteur. Pendant longtemps, certains groupes américains (comme Walmart, Goldman Sachs ou Apple) ont pris des mesures pour réduire leur impact sur l'environnement. Mais ils n'en parlaient pas beaucoup. Désormais, les patrons de ces groupes parlent à haute voix et mettent la pression sur le pouvoir politique.  

Quand je vais au Capitole à Washington, et que je rencontre un élu pour réclamer une réforme environnementale, il me rétorque que je ne pense pas aux intérêts du secteur privé. Mais quand un patron va voir ce même élu avec la même demande, on l'écoute. Tout spécialement si l'entreprise en question est installée sur le territoire de cet élu...  

Evidemment, le secteur privé devrait s'engager encore plus. Mais je ne crois pas qu'il y ait  beaucoup d'entreprises qui disent "je m'engage" et qui ne le font pas en réalité. Le monde est devenu trop transparent pour ça. Donc, c'est vrai, aux Etats-Unis, certains ne s'engagent pas pour des raisons éthiques mais pour des raisons économiques. Mais le plus important, c'est finalement de s'engager.    

 

Novethic. Quel est le message que vous souhaitez adresser au président Obama avant son départ pour Paris ?  

Mark Tercek. Continuez à faire du bon boulot ! Le président Obama, au cours des dernières années, a vraiment fait du changement climatique un élément central de sa politique, comme jamais aucun président avant lui dans l'Histoire. Il y a certains pays, comme le Mexique ou l'Indonésie, qui commencent à dire avant la COP21 : "nous allons nous engager mais on pourrait faire encore plus si les Etats-Unis nous aidaient". C'est un levier d'action diplomatique très important pour Barack Obama.  

Ce qui est très regrettable dans la position américaine, c'est que la majorité républicaine au Congrès soit si réticente à s'engager sur le sujet. Si un texte est voté à Paris, ce qui devrait être le cas j'en suis sûr, Barack Obama devra sans doute prendre ses responsabilités pour le faire passer par la voie présidentielle.

 

Novethic. Vous étiez déjà un observateur de tout premier plan en 2009 lors de la COP15 à Copenhague. En quoi la position américaine a-t-elle changé depuis ?  

Mark Tercek. L'état d'esprit global est beaucoup plus positif. Nous sommes aussi beaucoup plus avancés dans les discussions qu'il y a six ans. Tout le monde a appris depuis. On était peut-être trop dans l'auto-critique : réduire les émissions de CO2, ça reste une tâche vraiment très compliquée. Cette fois, nous avons eu plus de temps, des avancées technologiques dans le domaine des énergies renouvelables et un meilleur soutien du secteur privé.  

Je vais aller à Paris avec une équipe complète de spécialistes pour à la fois accompagner les dirigeants d'entreprises qui souhaitent faire le voyage mais aussi pour assister techniquement les négociateurs américains. Nous allons aider à obtenir l'accord de réduction de CO2 le plus agressif et le plus ambitieux possible. En gardant toujours à l'esprit que même après la COP21, il restera encore beaucoup de chemin à parcourir.

Fannie Rascle, correspondante à Washington
© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

Pour aller plus loin

Aux États-Unis, 10 ans après Katrina, la renaissance "durable" de la Nouvelle-Orléans

Le 29 août 2005, l'un des ouragans les plus puissants de l'histoire américaine s'abat sur La Nouvelle-Orléans. Bilan : plus de 1 800 victimes et plus de 150 milliards de dollars de dégâts. Sur les ruines de cette catastrophe, une nouvelle génération d'entrepreneurs est née. Elle se situe...

Émissions de CO2 aux États-Unis : Obama durcit les règles

Barack Obama a dévoilé lundi 3 août son très attendu "Clean power plan" piloté par l’EPA, l’agence de protection de l’environnement américaine. La nouvelle réglementation prévoit une baisse de 32 % des émissions de CO2 liées à la production d’électricité, ainsi que des investissements...

La transition écologique : une opportunité pour créer 60 millions d’emplois

L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que 60 millions d’emplois nouveaux pourraient être créés grâce à l’adaptation au changement climatique, principalement dans les pays émergents. Des dizaines de millions de personnes travaillent déjà dans l’économie verte mais pour...

Justin Trudeau : le renouveau environnemental du Canada ?

Au pouvoir pendant neuf ans, les conservateurs ont fait du Canada un cancre en matière d’écologie et de lutte contre le réchauffement climatique. Le nouveau Premier ministre libéral Justin Trudeau, fraîchement élu, pourrait changer la donne. À quelques semaines de la <link...

Le Fonds vert : un outil de financement de la lutte contre le changement climatique très politique

Initié en 2009 à Copenhague, le Fonds vert pour le climat, doit permettre de canaliser les financements des pays développés vers des projets d’adaptation et d’atténuation dans les pays en développement. Aujourd’hui, celui-ci a réuni un peu plus de 10 milliards de dollars de dollars auprès...

Chiffrer le coût de l’inaction, un tournant dans la prise de conscience climatique ?

En 2006, un rapport jette un pavé dans la mare climatique. Il évalue en effet le coût de l’inaction contre le changement climatique entre 5 % et 20 % du PIB mondial contre … 1 % pour celui de l’action ! Si ce rapport a fait grand bruit à l’époque, c’est aussi qu’il émanait non pas d’une...

Nigel Topping (We Mean Business): "une vraie progression dans les ambitions climatiques des entreprises"

Lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris qui se tiendra au Bourget du 30 novembre au 11 décembre 2015 (COP21), seuls les Etats ont le pouvoir de négocier. Mais les...

ENVIRONNEMENT

Climat

Les alertes sur le changement climatique lancées par les scientifiques conduisent à l’organisation de sommets internationaux, à la mise en place de marché carbone en Europe mais aussi en Chine. En attendant les humains comme les entreprises doivent déjà s’adapter aux changements de climat dans de nombreuses parties du monde.

Sultan Al Jaber president COP28 EAU Dubai Masdar Corporate 01

COP28 : le président Sultan Al Jaber en plein "déni scientifique" sur la fin des énergies fossiles

Un président de COP ne devrait pas dire ça. The Guardian vient de révéler une vidéo dans laquelle Sultan Al Jaber, président de la COP28, affirme que la sortie des énergies fossiles pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C ne repose pas sur des "données scientifiques". Une polémique de plus...

Belgique condamnée à réduire ses émissions de GES Crédit: Affaire Climat

Inaction climatique : la Belgique condamnée à réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030

Timing parfait. Alors que la COP28 s’est ouverte jeudi 30 novembre à Dubaï, la Belgique, ainsi que deux de ses régions, viennent d’être condamnées par la Cour d’appel de Bruxelles à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030, par rapport à 1990. Ce jugement...

Cop28 ouverture GIUSEPPE CACACEAFP

COP28 : un premier signal fort avec un accord surprise sur les pertes et dommages

Ce qui ne devait être qu'une simple formalité en ce premier jour de COP28 s'est transformé en signal fort. Ajoutée à la dernière minute à l'ordre du jour de la session plénière, la concrétisation du fonds sur les pertes et dommages a été adopté par les États. Ce fonds qui doit aider les pays les...

COP28 GIUSEPPE CACACE/AFP

Ouverture de la COP28 à Dubaï : ces sommets pour le climat ont-ils encore un sens ?

La COP de trop ? Alors que la 28e Conférence des parties sur le climat s’ouvre ce jeudi 30 novembre à Dubaï, aux Émirats arabes unis, beaucoup s’interrogent sur le sens et l’avenir de ces grand-messes, d’autant plus qu’elle se tient cette année dans un État pétrolier et qu'elle est dirigée par le...