Marché carbone : l’Afrique n’a pas dit son dernier mot
La plupart des pays africains comptent recourir aux crédits-carbone pour financer leur trajectoire de développement propre. Même si, jusqu’à présent, ils ont très peu bénéficié des mécanismes créés par l’ONU et que le prix de la tonne de carbone est au plus bas depuis plusieurs années.

Marthe van der Wolf / DPA / AFP
Les habitants d’Addis Abeba n’en savent probablement rien : le tramway flambant neuf qui circule dans la capitale éthiopienne depuis un peu plus d'un an sera, pour une petite partie, financé par des crédits-carbone. Tout comme le train construit par des entreprises chinoises, qui relie la ville à Djibouti depuis le mois dernier.
Le gouvernement éthiopien, qui s’est lancé dans un vaste programme de rénovation de son réseau ferroviaire, compte bien faire reconnaître son initiative au rang des bons projets pour le climat. Le tramway électrique va permettre de désengorger les axes de la capitale chargés de voitures et les nouveaux trains – électriques aussi – vont remplacer de vieilles locomotives. Au total, il a calculé que l’utilisation de ces énergies plus propres permettra d’éviter l’émission de 55,9 millions de tonnes équivalent CO2 dans l’atmosphère.
Le projet sera bientôt sur la table du secrétariat de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) pour être certifié et recevoir le label MDP (Mécanisme de développement propre). Ce mécanisme, créé par le protocole de Kyoto, a pour objectif d’aider les pays en développement à adopter des technologies sobres en carbone grâce aux financements apportés par les pays industrialisés ayant des obligations de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Ces derniers sont en effet rémunérés par des crédits-carbone, qui correspondent à la pollution évitée. Libre à eux de les utiliser pour respecter le plafond d’émissions qui leur a été attribué ou de les revendre à leur tour.
L’Union européenne, dont les entreprises industrielles sont soumises à des quotas d’émissions, a, jusqu’à présent, été le principal débouché pour ce mécanisme. Mais l’Afrique n’en a que très peu profité.
L'Afrique manque d'attractivité
Sur les quelque 8000 projets enregistrés par la convention-climat à Bonn, moins de 300 sont africains, quand la Chine en absorbe plus de 4000. Les difficultés des pays africains à entrer dans le processus ont rapidement été identifiées : environnement des affaires moins attractif, manque de capacités des administrations pour gérer des projets d’une grande complexité, taille des projets trop limitée…
Dès 2006, une série de mesures ont été prises par les Nations Unies pour aider les gouvernements à créer des administrations dédiées capables de parler le langage MDP. Des centres régionaux d’appui ont été créés à Lomé (Togo) pour l’Afrique de l’Ouest et à Kampala (Ouganda) pour l’Afrique australe et orientale.
En 2009, l’Union européenne a décidé qu’à partir de 2012 elle n’accepterait des crédits-carbone qu’à la condition qu’ils proviennent des pays les moins avancés (PMA), dont la majorité sont africains. Mais il était déjà trop tard. Sous l’effet de la crise économique, le marché du carbone européen s’était effondré et plus personne ou presque n’avait besoin de crédits.
L’Afrique avait raté le train. Pour autant, à l’instar de l’Éthiopie, la plupart des gouvernements africains n’entendent pas abandonner la partie et comptent sur les mécanismes de marché pour financer leur trajectoire de développement propre.
L’Accord de Paris ne reconnaît pas explicitement le rôle du marché, mais il évoque la possibilité de transférer des résultats d’atténuation entre pays et évoque "un mécanisme pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre et contribuer au développement durable". Les négociations vont se poursuivre pour préciser les contours de ce futur mécanisme, mais certains gros pays émetteurs, comme le Japon, ont déjà pris leurs dispositions pour assurer leur approvisionnement en crédits. Parmi les dix pays avec lesquels il est en discussion avancée, deux sont africains. Il s’agit de l’Éthiopie et du Kenya, que Tokyo va accompagner sur des projets d’électrification rurale à partir de petits barrages hydroélectriques.
D’autres pourraient suivre : des projets de géothermie sont à l’étude à Djibouti et au Rwanda et un programme de diffusion de lampes solaires est envisagé au Kenya. "Il est clair que, malgré les obstacles que peut présenter l’Afrique, le continent reste un réservoir largement inexploité pour les MDP", concluait une étude du Wuppertal Institute publiée en avril 2016 dans la revue Climat et développement.
Mesurer les bénéfices sociaux
À côté de ces acteurs étatiques, l’engagement des collectivités territoriales et des entreprises dans la lutte contre le réchauffement laisse entrevoir une nouvelle demande. Plus de 1000 villes se sont fixé pour objectif de réduire leurs émissions polluantes de 80% d’ici 2050 et une centaine de multinationales ont annoncé qu’elles ramèneraient leur empreinte climatique à un niveau cohérent avec la limite de 2°C, voire de 1,5°C, de hausse moyenne de la température mondiale fixée par l’Accord de Paris.
De même, l’accord signé début octobre par le secteur aérien pour parvenir à la neutralité carbone d’ici 2020 reconfigure le paysage.
Sur ce marché de la compensation volontaire, l’Afrique a jusqu’à présent mieux réussi à attirer les regards. La majorité des projets ont concerné l’installation de foyers améliorés pour réduire l’utilisation du charbon de bois, premier combustible du continent. Le Kenya, l’Ouganda et la Zambie en ont été les principaux bénéficiaires. À l’image du fonds français Livelihoods, qui finance l’équipement de 30 000 ménages dans des villages situés près du Mont Elgon au Kenya. Ces projets ont l’intérêt de pas se limiter à une dimension "carbone". Ils veillent aussi à introduire des bénéfices sociaux : ici en intervenant sur les pratiques agricoles pour améliorer la sécurité alimentaire.
Cette approche plus globale, qui fait le lien entre le climat et le développement, rejoint l’agenda de l’Accord de Paris. Cela garantira-t-il à l’Afrique un meilleur traitement à l’avenir ? C’est ce que veulent croire les porteurs de projet. Mais, pour l’instant, il leur faut avant tout tenir bon dans un marché où le prix de la tonne de carbone, entre 0,5 cents et 5 euros la tonne, reste toujours très insuffisant.