Publié le 15 décembre 2014
ENVIRONNEMENT
Lima : accord a minima sur fond de tensions Nord-Sud
Sur le papier, la conférence onusienne sur le climat de Lima avait tout pour réussir. Mais au fil des deux semaines de négociations, les discussions se sont grippées entre le Nord et le Sud. Un enlisement qui se ressent dans le texte final. Celui-ci reste flou et laisse beaucoup de points à éclaircir à Paris, lors de la prochaine Conférence des Parties (COP21) qui se tiendra fin 2015. L’année qui vient ne sera donc pas trop longue pour tenter de concilier les différentes positions.

© AFP/CRIS BOURONCLE
Après deux semaines de négociations, prolongées de 36 heures en raison de fortes divergences entre blocs de pays, le texte adopté à Lima ressemble davantage à un appel aux bonnes volontés qu’à une feuille de route précise destinée à baliser le chemin jusqu’à l’accord de Paris attendu lors de la prochaine Conférence des Parties (COP) en décembre 2015.
Le ministre des Affaires étrangères de la France, Laurent Fabius, a beau prêcher l’optimisme – "Le fantôme de Copenhague s’éloigne et l’espoir d’un succès à Paris se rapproche", a-t-il déclaré à l’issue de la COP20 –, les organisations non gouvernementales (ONG), elles, sont restées sur leur faim. "Cette négociation n’a pas permis de poser des règles du jeu solides pour le futur accord de Paris", estime ainsi Greenpeace. "Les pays développés ont poussé pour que l’ensemble des Etats s’engage dans des trajectoires de réduction de leurs émissions, tout en refusant d’adopter des mesures concrètes et ambitieuses en matière de financement, d’adaptation, de transfert de technologies pour les pays en développement. A Lima, les pays développés ont voulu taillader le principe de la justice climatique », tranchent les Amis de La Terre. Autant dire que le tandem que vont former la France et le Pérou jusqu’à la prochaine COP va avoir fort à faire.
Quelles sont donc les bases jetées par le texte de Lima ?
Les contributions nationales: laissées à l’appréciation des Etats
Le document issu des négociations de Lima invite une nouvelle fois les 195 pays participants à la Convention à présenter leurs propositions de contributions nationales à la lutte contre le changement climatique bien en amont de la conférence de Paris: "à la fin du premier trimestre 2015 pour les pays qui sont prêts", de façon à faciliter la compréhension et la transparence de ces contributions.
Concernant l’ambition de ces contributions, elles devront marquer une "progression" par rapport aux efforts actuels des Etats. Pour les pays les plus vulnérables, comme les petites îles, ils communiqueront des informations sur leurs stratégies et actions destinées à mener un développement faiblement carboné. Point important, à la demande des pays en développement, les contributions porteront sur l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.
Chacune des contributions devra comporter des informations quantifiables, sur le plan d’action, la période d’engagement, l’année de référence, l’approche méthodologique, les secteurs concernés, le spectre couvert, etc. Mais seulement si c’est "approprié", ce qui rend l’exercice volontaire. Sur le nouveau "processus de vérification multilatéral", le texte reste assez timide par rapport à ce qui avait été envisagé en raison des réticences, notamment, des pays émergents comme la Chine. Ainsi, il n’est plus fait mention d’un forum de discussion entre Etats pour présenter et discuter leurs contributions, regrette le World Institute Resources (WRI, Institut des ressources mondiales, un think tank américain indépendant, spécialisé dans les questions environnementales).
Le rapport qui compilera les contributions pour évaluer l’effort des différents pays et leurs effets cumulés pour freiner la hausse des températures à 2°C à la fin du siècle a également été retardé au 1er novembre 2015, contre le 1er juillet, ce qui réduit les marges de manœuvre pour pousser les ambitions nationales et globales. La secrétaire des Nations unies au changement climatique, Christiana Figueres, a d’ailleurs déjà indiqué que ces engagements ne suffiront pas pour atteindre l’objectif affiché.
La question financière : des premières contributions mais qui restent insuffisantes
Le fonds vert, qui doit permettre d’aider les pays les moins développés à lutter et à s’adapter au changement climatique, a dépassé le cap des 10 milliards de dollars (10,2) lors des deux semaines de négociations. Et ce, notamment grâce à une contribution que l’on n’espérait plus de l’Australie, à hauteur de 166 millions de dollars. Au total, 27 pays ont déjà contribué au fonds vert, dont 5 pays en développement ou émergents (Pérou, Colombie, Mongolie, Mexique et Corée du Sud).
L’abondement du fonds vert est l’une des conditions pour restaurer la confiance des pays du Sud envers le Nord et commencer à engager des ressources dans des actions prioritaires de terrain. Mais le plus dur reste à faire: en 2009, à Copenhague, les pays développés se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars (publics et privés) par an à horizon 2020. On en est encore très loin. Dans le futur accord de Paris, il est question de l’élaboration d’un nouveau régime financier destiné à lutter contre le changement climatique à partir de 2020. Et à côté du fonds vert, d’autres mécanismes existent comme le fonds d’adaptation.
Mais il y a "beaucoup de progrès à faire sur la partie financière pour sécuriser un accord global à Paris", souligne le WRI.
Les principes du futur accord de Paris : les pays les moins riches font entendre leur voix
Le texte de Lima affirme "la détermination" des parties à trouver un accord lors de la prochaine conférence sur le climat en décembre 2015 à Paris, dans une forme qui reste à définir: "un protocole, un autre instrument légal ou un résultat avec force juridique". On devra y trouver, entre autres, "des actions concernant l’atténuation, l’adaptation, la finance, le transfert et le développement de technologies, le renforcement des capacités et la transparence des actions et des soutiens", le tout de façon "équilibrée". La question de l’adaptation, particulièrement, a fait l’objet de beaucoup plus d’attentions que dans les COP précédentes, ce que demandaient les pays les plus menacés par le changement climatique, qui commencent déjà à en voir les effets, mais que refusaient jusqu’à présent les pays développés, comme ceux de l’Union européenne.
Le texte souligne également le principe de "responsabilités et de capacité différenciées" entre les pays, "à la lumière des circonstances nationales" (comme mentionné dans la déclaration commune sino-américaine de novembre. Un point de crispation récurrent entre les pays les plus vulnérables, les pays en développement et les pays développés lors des négociations climatiques.
Pour obtenir l’aval des pays les moins riches, le texte exhorte les pays développés à fournir et mobiliser "un soutien financier accru aux pays en développement pour des actions d’atténuation et d’adaptation, particulièrement envers ceux qui sont les plus vulnérables (…) et reconnaissent le soutien complémentaire apporté par les autres parties". Il mentionne aussi que les pays développés doivent montrer l’exemple en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
La question des "pertes et dommages" liés au changement climatique (submersion d’îles, perte de récoltes, etc.) est aussi abordée. Dans les deux années qui viennent, les pays sont incités à cartographier les pertes et dommages subis et leurs besoins, à développer des outils d’analyses et à partager les bonnes pratiques. Là encore, c’est une forte demande des Etats les plus vulnérables.
Les pays les plus vulnérables et les pays en développement ou émergents ont toujours demandé à ce que les pays développés, historiquement plus émetteurs de gaz à effet de serre, fournissent plus d’efforts en matière de réduction pour ne pas entraver leur propre développement. Ce que les pays développés reconnaissent. Mais dans une certaine limite, au vu de la croissance exponentielle des émissions des émergents comme la Chine ou l’Inde, aujourd’hui en tête de classement des pays les plus pollueurs.
En attendant Paris: tous les acteurs mis à contribution
L’accord de 2015 fixera les actions à mettre en œuvre à partir de 2020. Toute une partie des négociations a également été dédiée à la façon dont les pays peuvent accélérer la lutte contre le changement climatique, sans attendre le nouvel accord. Le texte de Lima invite donc les parties à ratifier et à mettre en œuvre l’amendement de Doha au protocole de Kyoto (le présent texte international sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre), qui permet à celui-ci de couvrir la période allant jusqu’en 2020. Pour le moment, seuls 21 pays sur les 144 nécessaires à sa mise en œuvre l’ont ratifié. En France, le Sénat doit se pencher sur la question jeudi 18 décembre. D’ici là, un processus de dialogue doit être mis en place pour que les pays puissent partager leurs expériences et identifier les meilleures options pour accroître les ambitions de leurs actions de court terme.
Enfin, le Lima Climate Action High Level Meeting (réunion de haut niveau pour l’appel au Climat de Lima) souligne également les actions des acteurs qui ne sont pas partie intégrante des négociations onusiennes sur le climat, comme le secteur privé, les fonds de pension, les collectivités locales et les peuples indigènes.
Le 10 décembre, une grande Marche des peuples, présentée comme la plus grande manifestation d’Amérique latine sur le climat, avait rassemblé 15 000 personnes à Lima.