Publié le 07 mai 2023
ENVIRONNEMENT
Poussés par la justice, les Pays-Bas entament (vraiment) leur virage vert
Doublement condamnés en 2019 à revoir leurs objectifs climatiques et à réduire leurs émissions d'azote, les Pays-Bas multiplient les annonces pour accélérer la transition écologique. Au très controversé plan "azote" s'ajoutent plus de 120 mesures climatiques, dont la décision de ne plus financer aucune nouvelle infrastructure, dont les routes, ou encore l'interdiction des jets privés à l'aéroport d'Amsterdam.

@flickr / Elisa Goudriaan
Le gouvernement néerlandais a dévoilé fin avril pas moins de 120 mesures pour lutter contre le changement climatique pour un montant total de 28 milliards d'euros. Le pays vise un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030, par rapport à 1990, conformément aux ambitions européennes. "Il est inévitable que notre pays, notre paysage et notre économie vont changer", a commenté Rob Jetten, ministre du Climat et de l'énergie. "Nous œuvrons pour parvenir en 2050 à une économie circulaire neutre en carbone. Pour cela, nous devons nous débarrasser vraiment des énergies fossiles et nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre", a-t-il ajouté.
Parmi l’une des mesures les plus symboliques, les Pays-Bas s’engagent à fermer d'ici 2035 toutes les centrales électriques fonctionnant au gaz et au charbon. Le pays, qui possède d’importantes ressources gazières, est le troisième producteur européen de gaz derrière la Norvège et le Royaume-Uni. Le gaz constitue encore 43% de son mix énergétique. Une part qui va progressivement diminuer au profit des énergies renouvelables, et notamment de l’éolien offshore, mais aussi du nucléaire alors que les Pays-Bas ne comptent pour l’heure qu’un seul réacteur. Les autorités avaient ainsi déjà annoncé la construction de deux centrales nucléaires dans le sud du pays d'ici 2035.
Plus de nouvelles routes et infrastructures ferroviaires
Quelques semaines avant ces annonces, le ministre néerlandais des infrastructures et de la gestion de l'eau, Mark Herbers, avait quant à lui prévenu que le gouvernement avait annulé tous les projets de construction de nouvelles routes et lignes ferroviaires aux Pays-Bas, afin de diminuer la pollution à l’azote. Le sujet est au cœur d’une polémique depuis une décision du Conseil d'État néerlandais de 2019 qui oblige le pays à réduire ses émissions d'azote d'au moins 50 % d'ici à 2030.
Outre les chantiers d’infrastructures, qui entraînent des émissions d'azote pendant et après les travaux, ce sont surtout les exploitations agricoles - responsable de 46 % de ces émissions - qui sont visées par d’importantes restrictions. En cause, le modèle d’élevage intensif tourné vers l’exportation. Le plan "azote" du gouvernement prévoit ainsi de baisser de 30% le nombre d’animaux, quitte à exproprier les fermiers qui refuseraient de se plier à cette injonction.
De quoi mettre le feu aux poudres. Les agriculteurs sont descendus en masse dans la rue pour protester et se sont également mobilisés dans les urnes. Aux élections provinciales de mi-mars, ils sont parvenus à faire du parti des paysans (BoerBurgerBeweging en néerlandais, BBB pour les électeurs) le plus grand parti au Sénat, avec à sa tête Caroline Van der Plas, alors que deux ans auparavant il n’existait quasiment pas.
Espoir pour la justice climatique
Autre changement majeur, dans le ciel cette fois. L’aéroport Amsterdam-Schiphol, le troisième aéroport le plus fréquenté d’Europe, devra plafonner le nombre de vols à 440 000 par an dès novembre 2024 contre 500 000 aujourd’hui. L’aéroport va également interdire les jets privés et les vols de nuit. Des activistes avaient bloqué le tarmac en 2022 face à la hausse rapide des voyages en jets privés, contraire aux objectifs climatiques.
Les Pays-Bas semblent donc avoir pris le virage vert, depuis la condamnation de l'État par la Cour suprême en 2019 à revoir ses objectifs climatiques. En juin 2015, dans une procédure inédite, l'association Urgenda et 900 Néerlandais avaient obtenu gain de cause une première fois devant le tribunal de La Haye. Puis de nouveau, en 2018, la Cour d'appel de La Haye avait réitéré l’obligation pour les Pays-Bas de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25% d’ici 2020, contre 17 % prévu par le gouvernement. L'affaire d'un État condamné pour son inaction climatique avait été la première à avoir un écho mondial.
De quoi donner de l’espoir aux milliers d’autres procès climatiques actuellement en cours, à l’instar de l’Affaire du Siècle en France. Après une première condamnation de l'État, les ONG et leurs avocats sont actuellement en train de perfectionner le dossier. Ils prévoient de saisir à nouveau le juge et demander des astreintes financières en raison de l’insuffisance des mesures prises depuis le jugement prononcé en octobre 2021. Le Tribunal Administratif avait condamné l’État pour inaction climatique, l'enjoignant à prendre "toutes les mesures nécessaires" pour combler les excédents de gaz à effet de serre émis sur la période 2015-2018, et ce avant le 31 décembre 2022.
Concepcion Alvarez avec AFP