Publié le 02 décembre 2020

ENVIRONNEMENT

Le transport maritime continue de tourner le dos à l’Accord de Paris

L'Organisation maritime internationale vient de prendre de nouveaux engagements climatiques. Mais ces derniers devraient permettre au secteur de continuer à augmenter ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. Le transport maritime apparaît ainsi comme le plus en recul sur la voie des objectifs de l'Accord de Paris. La France, notamment, est accusée de ne pas porter assez haut son ambition.

Transport maritime accord de paris faibles engagements pixabay
Le transport maritime émet chaque année un milliard de tonnes de CO2, représentant près de 3 % des émissions mondiales.
@CC0

À reculons. C’est ainsi que l’on pourrait décrire la trajectoire du transport maritime face à l’urgence climatique. Exclu de l’Accord de Paris, au même titre que l’aérien, le secteur a été le dernier à prendre des engagements. C’était en 2018. Les 173 États membres de l’Organisation maritime internationale (OMI) s’étaient alors accordés pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 40 % d'ici 2030, par rapport au niveau de 2008. Mais, alors qu’ils doivent désormais mettre en œuvre cet objectif, les réticences remontent à la surface.

Mi-novembre, lors d’une réunion du Comité de protection du milieu marin, les résultats obtenus ont été si faibles qu’ils permettent une croissance des émissions jusqu’en 2030. "Alors que les scientifiques nous disent que nous avons moins de dix ans pour arrêter notre fuite en avant vers la catastrophe climatique, l'OMI a décidé que les émissions pouvaient continuer à augmenter pendant au moins dix ans. Leur complaisance est stupéfiante. Nos pensées vont aux plus vulnérables qui paieront le prix le plus élevé pour cet acte de folie extrême" a vivement réagi John Maggs, le président de la Clean Shipping Coalition.

Quelques avancées

Concrètement, le secteur s'est accordé pour mettre en place une certification de l’efficacité énergétique afin de réduire et plafonner à partir de 2023 l’empreinte CO2 de chaque navire. Certains, comme les porte-conteneurs, les gaziers ou les cargos polyvalents, devront être construits avec une efficacité énergétique améliorée de 30 % plus tôt que prévu initialement, en 2022 au lieu de 2025. Ce pourcentage est par ailleurs durci pour les porte-conteneurs neufs, jusqu’à atteindre 50 % en 2022 pour les plus grands d’entre eux.

Un système de mesure de l’intensité carbone, de A (faible intensité carbone) à E (forte intensité carbone), est également instauré avec des exigences croissantes d’année en année. Les navires classés D et E devront obligatoirement présenter un plan d’action, sans lequel ils ne seront pas autorisés à naviguer. Ces mesures devraient toucher plus de 80 % des émissions de gaz à effet de serre du transport maritime international et pourront être révisées d'ici 2026. L’OMI a également adopté la fin des fiouls lourds en Arctique (utilisation et transport). Cette mesure s’appliquera progressivement entre 2024 et 2029. Elle vise à réduire les risques dans ces zones sensibles. 

Le rôle de la France pointé du doigt

"Réaliser la transition verte complète de notre flotte prendra du temps mais le travail que mène la France permet d’engager cette transition sans attendre. Nous disposons désormais d’outils solides et partagés pour responsabiliser l’ensemble des Etats et des acteurs maritimes", réagit le ministère de la Mer, dans un communiqué du 26 novembre. Mais les ONG observatrices estiment quant à elles que la réduction des émissions ne devrait représenter que 0,65 % à 1,3 % d’ici 2030 par rapport à un scénario "business as usuel", soit une hausse des émissions de 14 % par rapport à 2008, "violant" ainsi la stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’OMI.

La France est notamment accusée d’avoir cédé à la Chine pour faire adopter ce compromis très faible. Le magazine Forbes est même allé jusqu’à se demander si "le président Macron s’apprêt[ait] à quitter l’accord de Paris ?" dans un titre volontairement provocateur. Annick Girardin, la ministre de la Mer, avait elle aussi, reconnu, dans un premier communiqué, que le résultat n’était pas "à la hauteur des attentes de la France car il ne garantit pas l'atteinte des objectifs de l'Accord de Paris sur le climat ni de la stratégie de l'OMI", avant de se rétracter dans un second communiqué dix jours plus tard. 

Concepcion Alvarez @conce1


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