Le Maroc, le pays qui a (presque) supprimé les subventions aux produits pétroliers
Le Royaume qui accueille la 22ème conférence des Nations Unies sur le climat du 7 au 18 novembre à Marrakech a éliminé en deux ans toutes les subventions aux énergies fossiles dans les transports et l’électricité. Mais il lui reste à s’attaquer à la bonbonne de gaz butane, utilisée par presque tous les Marocains. Un sujet beaucoup plus sensible socialement.

Fadel Senna / AFP
Pour Hakima El Haïté, c'est devenu une habitude. Afin d'illustrer l'exemplarité de son pays dans la lutte contre le changement climatique, la ministre maroccaine de l'Environnement ne manque jamais de citer la réalisation d'une des plus grandes centrales solaires au monde sur les terres arides de la province de Ouarzazate, dans le sud-est du pays. Mais après avoir fait la publicité de Noor, entrée en service au début de l'année, elle s'empresse d'ajouter que le Royaume est aussi l'un des rares États à avoir supprimé les subventions aux produits pétroliers.
Le Maroc, contrairement à beaucoup d'autres, n'a pas tergiversé au moment d'éliminer ces primes à la pollution en contradiction avec l'ambitieux programme de développement des énergies renouvelables engagé par ailleurs. En 2009, il s'était fixé pour objectif d'assurer 42% de ses besoins énergétiques à partir d'énergies renouvelables d'ici 2020. À parts égales entre l'éolien, le solaire et l'hydraulique. Lors de la conférence de Paris sur le climat, en décembre 2015, ce chiffre a été porté à 52% d'ici 2030, faisant du pays d’Afrique du Nord un des contributeurs exemplaires à l’Accord de Paris.
Subventionner les produits pétrolier, un gouffre financier
La réforme des subventions a été menée avec d'autant plus de détermination qu'au delà de l'enjeu environnemental, il y avait pour le gouvernement un colossal enjeu de finances publiques. Dépourvu de ressources minières, le pays importe plus de 90% de ses besoins, sous forme d'énergies fossiles, pétrole, gaz et charbon. La consommation d'essence, de fioul et de gazole était jusqu'à la fin de l'année dernière généreusement encouragée dans le cadre de la politique de compensation introduite au début des années 1940.
C'est la coalition gouvernementale conduite par Abdelilah Benkirane (Parti Justice et développement, islamiste) à partir de 2011, qui a eu la délicate mission de convaincre les foyers marocains d'abandonner ces aides. Le sujet était dans l'air depuis des années et le terrain avait été préparé par de nombreux travaux d'experts démontrant le gouffre financier du système et son inefficience en termes de redistribution sociale.
En 2011, avec un prix du baril de pétrole supérieur à 110 dollars et une demande augmentant au rythme moyen de 6% l'an, le Fonds monétaire international (FMI) jugeait le mécanisme tout simplement "insoutenable". En une décennie, de 2002 à 2012, le poids de la caisse de compensation chargée également de gérer les subventions aux denrées alimentaires de base, comme la farine ou l'huile, est passé de 1% à 6,5% du produit intérieur brut (PIB). Presque autant que le déficit budgétaire de l'époque ou l'équivalent de 45% de la masse salariale des fonctionnaires.
Mais sur cette enveloppe de 50 milliards de dirhams (environ 5 milliards d'euros), les produits pétroliers étaient à l'origine de 86% des dépenses. Ce sont donc les énergies fossiles – moins sensibles socialement que l'huile ou la farine, qui furent la cible de la première vague de "décompensation" menée depuis des décennies. Le gouvernement a bien dû essuyer quelques grèves de chauffeurs de taxi et le mécontentement des associations de transporteurs routiers, mais la grogne s'est arrêtée là. Des aides ont été accordées pour palier en partie le surcoût lié à la libéralisation des prix des carburants et surtout pour permettre aux professionnels de s'équiper de véhicules plus propres et moins énergivores.
La bonbonne de gaz, un sujet explosif
Contrairement à son ambition initiale de créer un filet de protection sociale en stabilisant les prix, cette caisse de compensation a surtout bénéficié aux ménages privilégiés et aux entreprises. Selon un rapport du ministère des affaires économiques et générales, 42% des subventions allaient à 13% des foyers les plus riches en 2011. Les plus pauvres, qui n'en recevaient que 7%, ont cependant eu à subir une hausse des prix des transports et de l'électricité. Mais pour les économistes la décompensation a surtout mis fin à un dispositif qui au fil des années était devenu injuste socialement.
La réforme a été menée par étape à partir de septembre 2013 et s’est achevée fin 2015 par une libéralisation totale des prix. Le gouvernement marocain a eu sa part de chance : les prix très bas des cours du pétrole ont permis d’amortir plus facilement le choc. Il a par ailleurs réorienté une partie des économies vers des aides réellement ciblées sur les prix pauvres en faveur de l’éducation ou pour les veuves.
Ce qu’oublie cependant souvent de préciser Hakima El Haïte, c’est qu’un produit a échappé au couperet : il s’agit de la bonbonne de gaz butane qu’utilisent presque tous les Marocains et de nombreuses exploitations agricoles, qui ont détourné la subvention normalement destinée aux ménages pour faire fonctionner des pompes à eau ou chauffer des serres. Socialement, le sujet est donc beaucoup plus sensible.
La Banque mondiale estime ainsi que "l’impact serait trois fois plus élevé pour les plus pauvres que pour les plus riches". Pour éviter une hausse du taux de pauvreté, elle reconnaît que "des mesures compensatoires seraient inévitables".
Dans l’agriculture, des programmes de substitution par des équipements photovoltaïques ont déjà été lancés. Mais pour les foyers marocains, le gouvernement n’a pas encore trouvé la solution. Signera-t-il un chèque à chaque famille pour le prix d’une bonbonne de gaz ou accordera-t-il un rabais sur la facture d’électricité ?
L’État a dépensé 1,5 milliard d’euros en 2015 pour subventionner le butane. Mis sous le tapis pendant la période électorale qui vient de s’achever par une nouvelle victoire du parti islamiste d’Abdelilah Benkirane, le sujet va très vite revenir sur le devant de la scène.