Publié le 22 février 2022
ENVIRONNEMENT
En abusant de la formule "neutralité carbone", les entreprises s'exposent à "'l'effet boomerang"
C'est désormais un risque réputationnel et juridique. Les allégations de "neutralité carbone" qui foisonnent dans les publicités et engagements des entreprises pourraient bien se retourner contre elles. Cibles de collectifs citoyens luttant contre le greenwashing et bientôt de la loi, ces mentions provoquent l'effet inverse, décrédibilisant l'ensemble des démarches, parfois sincères, des entreprises.

Istock / Nuthawut Somsuk
Un trajet en taxi neutre en carbone, une livraison zéro carbone, une station-service 100 % carbone-compensé… Les allégations de neutralité carbone se multiplient dans l’espace public. Or, comme le note l’Agence de la Transition écologique (Ademe), l’objectif de neutralité carbone n’a réellement de sens qu’à l’échelle de la planète. Ce matraquage en règle, au mieux, brouille le message censé exposer l’engagement de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique, au pire, jette l'opprobre sur tous les acteurs se revendiquant "neutre en carbone". De plus en plus de citoyens, formés en collectifs, débusquent d’ailleurs ces allégations. Sur LinkedIn, les étudiants du Réveil écologique s’en donnent à cœur joie, de même que la page "Perle de Greenwashing".
"L’utilisation systématique de l’argument de "neutralité" expose les organisations à des risques de controverses, en particulier sur les réseaux sociaux, et, bientôt, à des risques juridiques, et contribue à la fragilisation de la relation de confiance déjà particulièrement émoussée entre les publics et les organisations", indique l’Ademe qui a publié le 18 février un rapport sur l’utilisation de l’expression "neutralité carbone". Si son avis est si incisif, c’est que l’usage abusif de la "neutralité carbone" est particulièrement problématique car il induit le public en erreur.
Des allégations bientôt interdites
"Lorsqu’un commerce en ligne propose la livraison "neutre en carbone" d’un achat, le public a logiquement le sentiment que le transport des produits se fera sans aucun impact sur le climat. L’inconfort psychologique associé à la connaissance de l’impact écologique est ainsi gommé. Le public est alors incité à continuer, voire à multiplier les achats en ligne et les livraisons associées, sans se préoccuper des impacts ni réfléchir à d’autres options possibles", écrivent les experts de l’Ademe.
Pour mettre un terme à ces allégations, le Parlement a adopté en juillet dernier un projet de loi interdisant l’emploi de la mention "neutralité carbone" pour toute publicité pour un produit ou un service. Sur Twitter, l’avocat en droit de l'environnement, Arnaud Gossement a d'ailleurs confié être de plus en plus interrogé par des acteurs économiques "qui souhaitent étudier le risque d’allégation environnementale irrégulière ou non conforme de leurs communications".
18. En tant qu'avocat, je suis d'ailleurs de plus en plus régulièrement interrogé par des acteurs économiques qui souhaitent étudier le risque d'allégation environnementale irrégulière ou non conforme de leurs communications. Notamment au regard des avis du JDP. C'est récent.
— Arnaud Gossement (@ArnaudGossement) January 14, 2022
Prouver les allégations
En attendant que le décret soit publié, l’Ademe a émis des recommandations pour les structures qui cherchent à valoriser leurs engagements dans la lutte contre le changement climatique. L’Agence propose d’adopter une communication responsable qui repose sur le triptyque suivant : réduire drastiquement ses émissions directes et indirectes, proposer des produits et services bas carbone, financer des projets de compensation chez des tiers. Elle conseille également, pour plus de crédibilité, d’accompagner toutes ces allégations d’éléments de preuves. À titre d’exemple, l’Ademe cite le cas de Décathlon qui s’appuie un score de performance de transition bas carbone ou encore L’Oréal qui développe un outil d’analyse du cycle de vie d’un shampoing solide et de ses impacts sociaux et environnementaux.
Au-delà des accusations de greenwashing, les rapports d’experts se multiplient pour évaluer le décalage entre les engagements de neutralité carbone des entreprises et l’impact réel de leurs efforts. Début février, un rapport de NewClimate Institute avec le soutien de l’ONG Carbon Market Watch a passé au crible les objectifs de neutralité carbone de 25 grandes entreprises comme Carrefour, Apple, Unilever ou Ikea. Il conclut que leurs engagements ne permettent de réduire que de 40 % leurs émissions au lieu de 100 %.
Marina Fabre Soundron @fabre_marina