Publié le 07 décembre 2015

ENVIRONNEMENT
COP21 : émergence d'une nouvelle géopolitique du climat
Au Bourget, la deuxième phase des négociations s'est ouverte ce lundi. Les discussions sont désormais politiques, et non plus techniques comme c’était le cas la première semaine. Une nouvelle instance de négociations destinée à faciliter et accélérer la recherche de compromis a été mise en place. Parallèlement, quatre groupes de travail pilotés par un binôme ministériel reflétant les intérêts des pays du Nord et du Sud, mènent des concertations autour des points de blocage. Une initiative qui reflète les nouveaux rapports de force entre pays. Analyse.

Eric Fef / AFP
A nouvelle étape, nouvelle méthode. Alors que la deuxième semaine de négociation débute au Bourget, le président de la COP21, Laurent Fabius, a donné de nouvelles directives pour la poursuite des travaux, désormais menés par les ministres mandatés par leur pays pour négocier.
Une nouvelle méthode
Cette nouvelle organisation est loin d'être anodine. Elle constitue un signal envoyé à la fois à la société civile et aux pays en développement. Cela se traduit par la création de deux nouvelles structures.
Un "comité de Paris" est d'abord mis sur pieds. Il s'agit d'une instance "unique et ouverte à tous" dont les travaux seront retransmis sur les écrans installés un peu partout sur le site du Bourget. Le message est clair : il s’agit de faire preuve de transparence. Et de contrer les - nombreuses - critiques de la société civile exprimées à Bonn après que les ONG ont été exclues des salles de négociations. Il se réunira au moins une fois par jour pour faire le point sur l’avancée des travaux.
Quatre groupes de travail sont également chargés de déminer les gros points de blocage. Chacun est orchestré par un binôme ministériel réunissant un représentant des pays développés et un représentant des pays en développement, dans une recherche d'équité, essentielle pour ces questions hautement politiques. Les groupes vont en effet se concentrer sur la différenciation (la répartition des efforts entre pays du Nord et pays du Sud), l’ambition (la définition d’un objectif de long terme et l’introduction d’un mécanisme de révision des contributions nationales), le transfert financier et technologique des pays du Nord vers les pays du Sud et enfin l’accélération de l’action pré-2020, c’est-à-dire des mesures à prendre avant la date de l’entrée en vigueur de l’accord de Paris.
"La méthode proposée par Laurent Fabius pour la seconde semaine – là aussi cela manquait sans doute à Copenhague, nous avons collectivement progressé - a été bien reçue par tous", observe Nicolas Hulot devant un parterre de journalistes.
Une vision du monde qui évolue
Mais cette nouvelle méthode saura-t-elle suffisamment refléter la complexité des rapports de force apparue après Copenhague ? A la conférence de Paris, on assiste à la remise en cause d’une vision du monde partagée exclusivement entre pays développés et pays en développement. Au centre de ces divergences, la question du financement, encore et toujours : les Etats-Unis, les Australiens et les Européens demandent à ce que les pays hier en développement et devenus entre temps des poids lourds économiques (Chine, Inde) contribuent également au financement de la lutte contre le réchauffement climatique.
"Cela concerne bien évidemment la Chine et les pays du Golfe comme l'Arabie saoudite, le Qatar ou les Emirats, qui sont en mesure de contribuer financièrement", explique Pascal Canfin, nouveau directeur exécutif du WWF France et ancien ministre du Développement. "Ce qui se joue ici, ce sont aussi les relations géopolitiques entre la Chine et les Etats-Unis".
Le G2 Chine-États Unis, clé de voûte de la négociation
A eux deux, la Chine et les États-Unis représentent presque 45 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Autre point commun : ils subissent déjà les effets du réchauffement climatique chez eux (pollution de l’air en Chine, sécheresse en Californie). "Les relations sino-américaines jouent un rôle essentiel dans ces négociations", explique Jennifer Morgan du World Ressources Institute (WRI), qui suit les négociations onusiennes depuis une vingtaine d’années. Avant la COP21, la Chine a d'ailleurs voulu se poser "en leader des questions climatiques, tout particulièrement avec l’accord Chine-Etats-Unis adopté en novembre 2014". Une position qui a pourtant changé pendant cette conférence. "La position de la Chine n’est pas très claire. S’il est certain qu’elle vise un accord, des incertitudes demeurent sur le niveau d’ambition qu’elle veut lui donner", souligne la directrice générale du programme climat du WRI. La Chine a notamment signalé son opposition à l’abaissement du seuil de 2°C à 1,5°C comme objectif du long terme.
La composition de la délégation chinoise explique sans doute en partie cette ambigüité. Deux personnalités contrastées la dirigent. Dans les couloirs, on les identifie comme les "good cop et bad cop" (le bon et le mauvais flic). Son chef, le charismatique Su Wei, est connu pour son intransigeance. En coulisse, certains parmi les négociateurs le qualifient de "chien d’attaque" de la Chine. Le ministre Xie Zhenhua, qui reprend la main cette semaine dans la partie politique des négociations, se montre lui plus flexible, et plus ouvert notamment aux médias.
Du côté des Etats-Unis, c'est un changement de ton radical par rapport à Copenhague où Barack Obama faisait ses armes climatiques. A Paris, "pour la première fois, nous avons un président américain entièrement dévoué à la cause du climat", se félicite Jennifer Morgan. "Il a le soutien de la population américaine derrière lui - un récent sondage montre que deux tiers de la population soutiennent la lutte contre le réchauffement - mais pas celui du Congrès dominé par les Républicains". Pour convaincre à l'intérieur, Obama doit donc convaincre à l'extérieur. Pour contrer les réticences républicaines, il doit entraîner le plus de pays possibles dans son sillon, la Chine en premier lieu.
L'Arabie Saoudite et la Pologne, deux pays qui bloquent l'ambition de l'accord
Autre poids lourd de ces négociations : le groupe arabe. "L’Arabie Saoudite et les pays du Golfe se distinguent par leur volonté d’arriver à un accord a minima", explique Safa Al Jayoussi, de l’ONG jordanienne IndyAct, observatrice des pays du groupe arabe. Ils bloquent sur trois points : l’abaissement du seuil de 2°C à 1,5°C, l’introduction du mécanisme de révision des ambitions à la hausse après 2020 (c’est-à-dire après que l’accord de Paris sera entré en vigueur) et le refus de voir le principe des droits de l’Homme figurer dans le texte de l’accord.
Pourquoi ? "Ils perçoivent un monde fonctionnant aux énergies renouvelables comme une menace pour leurs économies qui dépendent des énergies fossiles".
Quant à l'Union européenne, elle "pourrait faire mieux", estime Nicolas Hulot, le président de la fondation qui porte son nom (FNH). Un sentiment largement partagé dans les couloirs du Bourget par les observateurs et les ONG européennes. "L’Union européenne a perdu en leadership", constate Jennifer Morgan. "C’est un peu normal si l’on considère l’Union comme une espèce de Nations Unies miniature. Les 28 pays doivent se mettre d’accord". Et un pays européen bloque au sein de l’UE : la Pologne, toujours grande productrice et consommatrice de charbon.