Publié le 21 octobre 2015
ENVIRONNEMENT
Lutte contre le réchauffement climatique : la COP21 fait passer les entreprises à la vitesse supérieure
A quelques semaines de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris, les entreprises attendent de la COP21 un cap clair pour pouvoir fixer leurs orientations et leurs investissements à moyen et long terme. Un changement de ligne bienvenu. Mais sera-t-il suffisant ?

Philippe Wojazer / AFP
Les entreprises se sont engagées avant la COP21 et elles continueront de s’engager après. Mais le sommet climatique de Paris doit agir comme un catalyseur. A l’approche de la conférence onusienne, c'est le message porté par Nigel Topping, le directeur de We Mean Business, une coalition mondiale d’entreprises et d’investisseurs engagés sur le climat.
"Il y a une idée reçue selon laquelle les entreprises n’aiment pas les règles. Bien souvent, les politiques eux-mêmes craignent une réaction négative des entreprises, regrettait-il lors d’une conférence organisée dans le cadre du Forum Convergence à Paris, fin septembre. Or, leur modèle économique est complètement remis en cause par le changement climatique. Elles ont besoin de normes à long terme pour pouvoir solidifier leurs orientations."
Au sein de We Mean Business, quelque 300 grosses compagnies et investisseurs ont pris des engagements forts en faveur du climat. 36 entreprises prévoient de se fournir à 100% en énergie renouvelable, avec une échéance allant de 2015 à 2050. D’autres ont choisi de lutter contre la déforestation en supprimant de leur chaîne d’approvisionnement le soja ou l’huile de palme. Siemens, leader mondial de l’éolien en mer, a pour objectif d’avoir une empreinte carbone nulle en 2030. Mais le mouvement est bien plus large. Sur la plateforme NAZCA de l'ONU, on recense 1 158 entreprises engagées volontairement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ou à améliorer leur efficacité énergétique. Tout comme 340 investisseurs. A l'approche de la COP21, le compteur s'affole chaque jour davantage.
Pression
Et les lignes bougent. Les actions des uns se répercutent sur les autres et vice versa. En témoigne le mouvement du désinvestissement qui touche le secteur des énergies fossiles et qui prend aujourd'hui une ampleur inédite. Selon l'association Divest-Invest, il concernait en septembre dernier 2 600 milliards de dollars d’actifs à travers le monde. 50 fois plus qu'il y a seulement un an. Une pression qui pourrait contribuer, à terme, à bouleverser l'économie mondiale, shootée aux énergies fossiles.
"L’ère du greenwashing est un peu derrière nous. Derrière les engagements des entreprises, on sent qu’il y a du contenu. Et le sujet climatique est en train de devenir mainstream, de rentrer dans le cœur de l’économie mondiale. Il n'y a qu'à voir la prise de position du gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de stabilité financière, Mark Carney. Celui-ci reconnaît l’existence d’un risque carbone qui pourrait être dévastateur pour l’économie. C’était impensable il y a quelques mois seulement", assure ainsi Alain Grandjean, associé fondateur de Carbone 4.
De fait, "les entreprises ne font plus la sourde oreille", abonde Merlyn van Voore, conseillère spéciale sur le changement climatique au sein du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’environnement). Mais il faut désormais leur donner un cap clair et surtout changer d'échelle. "Le système économique mondial devra passer à une énergie propre. Dans ce cadre, les partenariats public/privé sont importants. Mais il faut aussi fixer un prix carbone et investir à long terme dans l’atténuation et l’adaptation du changement climatique."
Pionniers
Fixer un prix du carbone au niveau mondial : c'est LA solution prônée par les gros acteurs économiques, financiers et politiques depuis le Climate summit de New York en 2014. Et pourtant, les taxes et marchés carbone sont loin de couvrir l'ensemble des émissions, même si là encore le mouvement s'accélère. En juin 2015, 39 pays et 23 entités supranationales avaient adopté un prix du carbone ou étaient en passe de le faire, selon la Banque mondiale. Valeur marchande de ces taxes ou marchés carbone : 50 milliards de dollars pour 12% des émissions globales couvertes.
Aujourd'hui, même la Chambre de commerce internationale demande la mise en place de mécanismes de tarification carbone généralisés. "C'est essentiel pour orienter les décisions d’investissements et les stratégies commerciales au niveau mondial afin d’éviter les distorsions. Nous demandons aussi la fin des subventions aux énergies fossiles", affirme ainsi le secrétaire général de la CCI, François Georges.
Pourtant, la COP21 n'est sans doute pas le cadre idoine pour la mise en place d'un tel mécanisme, estime Michael Jacobs, conseiller pour la Commission mondiale sur l’économie et le climat. "Tout le monde attend avec impatience la COP21, mais les attentes doivent être les bonnes. Il n’y aura pas de prix carbone à Paris car ce qui y est négocié est un cadre de règles." Pour lui, c’est seulement au niveau des Etats ou des régions - comme l'Union européenne -, à travers les contributions (INDC) qu'ils doivent adresser à l'ONU, qu’un prix carbone peut être envisagé. Mais au fond, qu'importe, car "La véritable question à se poser, c’est comment diffuser l’action des pionniers à l’ensemble des entreprises ?", assure-t-il.
Point de bascule
Les grandes déclarations d'intention des grands groupes ne doivent en effet pas occulter une réalité moins idyllique. Ainsi, selon une étude publiée par l’un des principaux centres de recherche américain sur l’environnement C2ES (Center for Climate and Energy Solutions) lors de la Climate Week de New York, en septembre, seulement une quarantaine d'entreprises sur les 100 répertoriées dans l’indice boursier Global 100 de Standard and Poor’s avait évalué sa vulnérabilité face au changement climatique. Et rares sont les entreprises, même les plus engagées, qui ont des objectifs de réduction en ligne avec un réchauffement de la planète limité à 2°C, rappellent les Organisations non gouvernementales (ONG) CDP, WWF et WRI, à travers leur initiative Science based targets.
"Aujourd’hui, beaucoup de sociétés n’alignent pas l’intérêt économique avec l’agenda climatique, poursuit Michael Jacobs. Celles qui ont intégré le risque climatique sont les plus exposées à l’opinion publique. Mais nous sommes près du point de bascule : de plus en plus d’entreprises ont compris qu’il y avait des marchés énormes. C’est désormais un choix stratégique d’aller vers un développement plus responsable alors qu’auparavant, la motivation première était morale. Pour y arriver, il faut suffisamment de pression du public et des entreprises afin de pousser les gouvernements à s’engager."
C'est tout l'intérêt d'avoir mis à contribution les entreprises et investisseurs grâce à l'Agenda des solutions, qui regroupe les engagements des acteurs non étatiques. "La COP21 est la 21ème Conférence des Parties (COP), ce qui montre la lenteur du processus. S'il n'a pas été couronné de succès jusqu'à présent, c'est notamment parce que l'on n'avait pas demandé ni l'avis ni la contribution des entreprises, affirme ainsi Brice Lalonde, conseiller spécial pour le développement durable à l'ONU. Or on ne peut tout simplement pas changer nos modes de production et de consommation sans elles".