Publié le 05 mai 2015

ENVIRONNEMENT

Climat : le Fonds vert en ordre de marche (ou presque)

Initié à Copenhague en 2009, le Fonds vert pour le climat, qui doit permettre de canaliser les financements des pays développés vers des projets d’adaptation et d’atténuation dans les pays en développement, est désormais sur les rails. Mais les promesses de dons des différents États tardent à se concrétiser. Un problème quand l’on sait à quel point la bonne marche de ce fonds est cruciale pour l’obtention d’un accord à Paris.

Parc éolien au Kenya
Tony Karumba / AFP

"Vingt deux ans de négociations sur le climat se sont révélées insuffisantes. Nous avons besoin d’un booster pour effectuer le virage vers la lutte contre le changement climatique.C’est le rôle du Fonds vert pour le climat. Un fonds qui devrait permettre aux pays en développement de réaliser des investissements bas carbone", expliquait ainsi Héla Cheikhrouhou, la directrice exécutive du FCV (le Fonds vert pour le climat) lors d’une conférence à Sciences Po Paris le 13 avril dernier.

Ce fonds, c’était l’une des promesses de Copenhague en 2009. Pour tenter de débloquer une situation alors verrouillée entre pays du Nord et pays du Sud, les premiers consentent à mettre en place un fonds destiné à financer la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. À terme, le FCV doit devenir le principal canal de distribution des financements publics pour le climat, tout en ne bloquant pas son accès aux financements privés.

Objectif affiché : trouver chaque année 100 milliards de dollars d’ici 2020. Un premier pas quand on sait que les scientifiques estiment plutôt à 700 milliards de dollars les investissements additionnels nécessaires à la transformation des économies des pays en développement1.

 

Des promesses en attente de concrétisation

 

Il aura cependant fallu attendre presque 5 ans pour que le FCV soit opérationnel. Et que les premiers engagements, soient annoncés par les différents pays. Le 17 avril 2015, 33 pays avait fait des promesses de dons - des pays occidentaux pour la plupart comme la France qui a promis 1 milliard d’euros mais aussi 8 pays en développement - à hauteur de 10,2 milliards de dollars pour une période de 4 ans.

Seulement, les États traînent à convertir les promesses en "accords de contributions", c'est-à-dire des engagements les liant juridiquement. La plupart ont attendu le tout dernier moment (le 30 avril) pour signer ces accords. À ce jour, seules 42 % des promesses se sont concrétisées (soit 4 milliards de dollars). Problème : le feu vert au financement des premiers projets initiés par le Fonds vert ne peut être donné que si 50% des promesses se sont converties en réels dons ou prêts.

Une situation qui n’est pas de bon augure, car ce fonds cristallise toujours les tensions. Les pays du Sud, souvent les plus vulnérables au changement climatique mais aussi les plus pauvres, font de l’abondement du fonds un indicateur de la crédibilité des pays développés en matière de financement de la lutte contre le changement climatique.

"La clef principale de réussite des discussions de Paris concernera la capacité des États à respecter leurs engagements de soutien financier pour aider, face aux effets du changement climatique dans les pays du Sud, les populations les plus vulnérables. Pour cela, les États doivent respecter les engagements financiers pris à Copenhague en 2009", insiste le CESE (Conseil économique social et environnemental) de la France dans son avis sur la réussite de la COP21 voté en plénière le 28 avril. Autant dire que la bonne marche du fonds est cruciale pour obtenir un accord international sur le climat à Paris à la fin de l’année.

 

Cibler les projets les plus efficaces et les moins financés

 

Ce fonds, c’est la possibilité pour des projets d’atténuation (transports bas carbone, réductions d’émissions dans les bâtiments, gestion durable des terres et forêts,…) et d’adaptation (résilience renforcées des systèmes d’alimentation, d’eau, de santé, des infrastructures et des écosystèmes…) au changement climatique de voir le jour. Ainsi, a assuré Héla Cheikhrouhou, les ressources seront allouées de manière égale entre l’atténuation et l’adaptation, cette dernière étant systématiquement sous-financée dans l’architecture financière actuelle. Avec des standards environnementaux et sociaux calqués pour le moment sur ceux de la Société financière internationale, qui s’occupe des activités du secteur privé de la Banque mondiale.

"Un de nos principaux objectifs est aussi de s’assurer que les pays qui n’ont pas eu leur chance sur le MDP (mécanisme de développement propre) et sur d’autres mécanismes de financement climat puisse bénéficier du fonds vert. L’Afrique n’a pas été bien servie jusqu’ici par les finances climatiques. Nous avons des clauses claires dans notre instrument fondateur sur  l’importance de servir les pays vulnérables, notamment en Afrique", déclarait dans une interview à Point Afrique la directrice exécutive du Fonds vert, qui a une bonne connaissance du sujet en tant qu’ancienne responsable du département énergie, environnement et changement climatique a la Banque africaine de développement.

"Notre objectif est d’intervenir dans les projets les plus efficaces en termes de lutte contre le changement climatique et là où l’argent est peu ou pas présent", a précisé Héla Cheikhrouhou devant les étudiants de Sciences Po. Pour cela, la structure du fonds se doit d’être "légère, sans l’imposante bureaucratie qui peut aller avec une grosse institution", a-t-elle souligné.

 

Une structure légère, avec de multiples partenariats

 

De fait, le fonds, basé à Séoul en Corée, est piloté par un secrétariat et un conseil d’administration de 24 membres, représentants d’un nombre égal de pays développés et de pays en développement. Mais le FCV va surtout fonctionner en partenariat avec tout un réseau d’institutions, à différentes échelles (locales, nationales ou internationales) et sous différents statuts (gouvernementales, privées, société civile, etc.).

Une fois accréditées par le fonds, elles pourront présenter les projets qui leurs paraissent intéressants. Dans chaque pays, un "point focal" est également chargé de proposer au Fonds vert un programme de travail, et de vérifier la cohérence des propositions avec les plans nationaux de lutte contre le changement climatique. Dans un premier temps, le fonds devrait essentiellement accorder des subventions et des prêts concessionnels.

Parmi les partenaires du FCV, on compte pour le moment l’établissement de crédit allemand, la KFW, la Banque asiatique de développement ou le Programme des Nations unies pour le développement. Mais aussi le Centre de suivi écologique, un organisme sénégalais spécialisé de la désertification et la protection des côtes ou le fonds Acumen, qui travaille à l’amélioration des conditions de vie des communautés pauvres africaines et asiatiques dans le domaine de la santé, de l’agriculture et des énergies propres. La Banque mondiale agira quant à elle en tant que banquier du Fonds vert : c’est elle qui exécutera les décisions du conseil d’administration du fonds, du moins temporairement.

Mais la gouvernance de ce fonds est encore loin de faire l’unanimité, notamment dans certains pays en développement, qui souhaiteraient avoir davantage la main sur les projets financés ou limiter l’accès du privé au fonds. Dans son avis sur la réussite de la COP21, le CESE considère également que "Dans un souci de plus grande transparence, les organisations de la société civile, via les groupes majeurs de l’ONU, devraient participer directement à son Conseil d’administration", que des "critères lisibles d’attribution soient adoptés au fur et à mesure de la montée en charge du fonds vert" afin de faire le tri entre les projets et que les "aides au secteur privé ciblent prioritairement le tissu économique local, notamment dans les secteurs des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique, de la valorisation ou revalorisation des terres agricoles".

Même encore bancal, le Fonds vert fait cependant des émules. Le 13 avril, la ville de Paris, qui accueillera la COP21 en décembre, a adopté l’idée d’un fonds vert des villes et des collectivités sur le climat.

 

[1] Source : Green investment report, World economic forum 2013, based on OECD, IEA, FAO, UNEP


 

Béatrice Héraud
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