Publié le 27 juin 2023

ENVIRONNEMENT

Biochar : la ruée vers ce nouvel or noir est lancée, stimulée par les crédits carbone

Le biochar décolle depuis quelques mois en France. Ce produit issu de la pyrolyse de matière organique multiplie les promesses : stockage de CO2, rétention d'eau, apport en nutriments, aération du sol... Il permet surtout de rapporter gros sur le marché des crédits carbone. Certains craignent que cette solution, reconnue par le Giec, ne soit utilisée de façon contre-productive, au risque de jeter le discrédit sur l'ensemble de la filière.

Biochar Terra Fertilis
Le Giec a reconnu le biochar comme une "technologie à émissions négatives" en 2018, créant un emballement pour ce produit jusqu’alors méconnu.
@Terra Fertilis

280 euros, c’est le prix auquel Terra Fertilis vend la tonne de CO2 séquestrée dans le sol grâce à son biochar ("bio" pour végétal, "char" pour charbon) sur le marché des crédits carbone. L’entreprise normande s’est spécialisée dans la production de cette poudre noire aux vertus particulièrement recherchées face à l’emballement climatique, qui peut être utilisée aussi bien en agriculture que dans la production de ciment. Une tonne de biochar permet en effet de stocker entre 2,5 et 3 tonnes de CO2 dans le sol pendant des centaines d’années. Le Giec a ainsi reconnu le biochar comme une "technologie à émissions négatives" en 2018, créant un emballement pour ce produit jusqu’alors méconnu.

Cette reconnaissance a permis l’émission de crédits carbone associés au biochar, à des prix tout de suite attractifs et qui sont très vite montés en flèche. Cela a eu pour effet de faire émerger un modèle économique, attirant de nombreux industriels. Fin 2022, la capacité de production de biochar en Europe était d’environ 53 000 tonnes selon une étude de l’European biochar industry. Fin 2023, elle devrait passer à 90 000 tonnes avec 180 installations sur le continent. "Et on prévoit que la tonne de CO2 séquestrée grâce au biochar atteigne 700 euros en 2030", annonce Stéphane Ledentu, à la tête de Terra Fertilis.

"Tous les biochars ne se valent pas"

Son entreprise est la première à avoir commercialisé du biochar en France en 2021, qu’elle vend majoritairement à des professionnels, notamment des collectivités (Pantin, Caen…) et dans une moindre mesure à des particuliers via des marketplaces. L’usine située à Argentan produit pour l’instant 400 tonnes de biochar par an. Un volume qui devrait doubler l’année prochaine avec la mise en service d’un second pyrolyseur, élément phare dans la production de biochar, puis d’un troisième en 2026.

Le biochar est en effet produit à partir de résidus de matière organique par pyrolyse, un procédé combinant haute température et absence d’oxygène, ce qui permet de conserver le carbone des végétaux et de le stocker ensuite dans le sol. À Argentan, c’est du bois issu de coupes d'éclaircies dans des forêts françaises gérées durablement qui est utilisé. Certaines essences de bois – dont le secret est bien gardé – sont privilégiées afin de produire du biochar par Terra Fertilis. "Car tous les biochars ne se valent pas", insiste Stéphane Ledantu. "Le nôtre est le plus carboné possible."

Une solution soutenue par Elon Musk

Mais Terra Fertilis n’est pas la seule à avoir flairé le bon filon. Des startups comme Carbonloop ou encore NetZero se sont elles aussi lancées dans la course à ce nouvel "or noir". "Le modèle économique s'appuie pour moitié sur la vente de crédits carbone aux grandes entreprises", reconnaît ainsi NetZero auprès de l'AFP. Après un premier site ouvert au Cameroun en 2021, l’entreprise française, cofondée notamment par le climatologue Jean Jouzel et Axel Reinaud, ancien du Boston Consulting Group (BCG), vient d'inaugurer au Brésil l'un des plus grands sites de production au monde. Elle compte y produire 4 500 tonnes de biochar par an.

En février dernier, la société a levé 11 millions d'euros auprès de trois grands groupes industriels, Stellantis, L'Oréal et CMA CGM. Quelques mois auparavant, elle avait été sélectionnée comme l'un des 15 projets les plus prometteurs au monde pour le stockage de carbone lors du concours Xprize Carbon Removal de la fondation d'Elon Musk et reçu un million de dollar. Net Zero entend séquestrer deux millions de tonnes équivalent CO2 chaque année à l’horizon 2030. CarbonLoop, de son côté, vise un million de tonnes de CO2 séquestrées d’ici à 2030.

À côté de ces start-ups, les grandes entreprises ne sont pas non en reste, à l’instar de Suez, qui compte le biochar parmi ses solutions innovantes et qui devrait prochainement annoncer l’ouverture d’un site de production. "La contribution des crédits carbone est aujourd’hui essentielle pour rendre possible le déploiement industriel des unités de production de biochar, confirme Dominique Helaine, directeur Solutions Carbone au sein de Suez. Sur le marché volontaire de la compensation, les crédits carbone générés par les futures unités biochar de Suez et ses partenaires présenteront l’un des meilleurs rapports coût/bénéfice sociétal/permanence de la séquestration", précise-t-il auprès de Novethic.

"Tous les sols ne sont pas aptes à recevoir du biochar"

Cette course vers ce nouvel "or noir" est-elle vraiment sans risque ? "Il faut rester vigilants sur l’usage qui va en être fait", alerte David Houben, directeur du collège Agrosciences au sein de l'institut polytechnique UniLaSalle. Il travaille sur le biochar depuis 2010. "On parle de centaines de millions de tonnes de biochar produit, rentabilisées par les crédits carbone. L’idée des industriels qui détiennent beaucoup de gisements, c’est de se dire qu’ils vont pyrolyser cette matière. Mais pour en faire quoi ? On met la charrue avant les bœufs. Selon moi, il faudrait plutôt partir des contraintes imposées par les sols localement et évaluer le besoin afin de rester dans un cercle vertueux."

Sauf que dans un contexte où les puits de carbone, indispensables pour atteindre la neutralité carbone, commencent à perdre de leurs capacités, la tentation est forte de vouloir produire du biochar à tout va. "Pour que cela ait réellement un effet sur le climat, cela implique d’aller puiser d’énormes gisements avec des risques de conflits d’usage (construction bois, biomasse, méthanisation…). Tous les sols ne sont pas non plus aptes à recevoir du biochar. Il est par exemple très intéressant dans des sols tropicaux, très altérés, généralement acides qui ont perdu leurs nutriments et la faculté de les retenir. Il l’est en revanche beaucoup moins en zone tempérée dans des sols crayeux comme c’est le cas en Champagne", détaille le spécialiste.

"Ce n’est pas la solution magique", confirme Stéphane Ledentu, à la tête de Terra Fertilis. Il alerte sur le fait que les crédits carbone pourraient dès lors faire "dévier" l’intérêt du biochar qui doit rester "une solution parmi d’autres dans la palette à outils dont on dispose". Pour tenter de se démarquer, face à cette concurrence accrue, il va communiquer dès cet été sur son biochar "premium", labellisé par la certification européenne et seul en France à avoir reçu une autorisation de mise sur le marché.

Concepcion Alvarez


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