Publié le 22 janvier 2014

ENVIRONNEMENT

Avec les marchés carbone, la Chine veut produire plus en polluant moins

Alors que les records de pollution sont régulièrement battus dans les grandes villes chinoises (Pékin et plus récemment Shanghai), le pays met en place des zones pilotes pour tester des plateformes d'échange de droits d'émission de carbone destinées aux entreprises les plus polluantes.

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Pollution à Shangaï
© istock

Largement à l'origine du désastre écologique chinois, les géants industriels du pays, à la pollution jusqu'alors insouciante, se découvriraient-ils des pieds d'argile ? Car les marchés carbone, qui allouent des « droits à polluer », se multiplient dans l'Empire du milieu. Derniers en date : Shanghai et Pékin, où, depuis fin 2013 -selon le principe inspiré du marché carbone européen-, les entreprises concernées perçoivent un nombre limité de quotas d'émission de carbone. Dans un deuxième temps, celles qui émettent peu de CO2 revendent leurs quotas en trop à d'autres qui auraient, elles, trop pollué.

Logiquement, sont visés les secteurs les plus pollueurs : la métallurgie, la pétrochimie, le textile et, surtout, la production électrique, encore générée à 70 % grâce au charbon dont on connaît les fortes émissions. Les jadis intouchables entreprises d'Etat font grises mines. Le 26 novembre 2013, jour inaugural du marché carbone de la capitale, Sinopec, numéro 1 chinois du gaz et de l'or noir, et la banque d'investissement CITIC ont chacun dû débourser 1 million de yuans [120 000 euros] pour acquérir les quotas représentant 20 000 tonnes de CO2.

Les graines d'une révolution à venir ?

Certes, en Chine, les quotas d'émissions de CO2 ne sont encore plafonnés qu'en fonction de la croissance, laquelle est nationalement de 7,5 %, et non en termes absolus comme en Europe. Pour autant, ce sont les graines d'une véritable révolution que la Chine, premier pays émetteur de CO2, est en train de semer, progressivement, selon une méthode éprouvée : tests ciblés, puis réajustement, enfin généralisation et unification.

Ces derniers mois, une poignée de zones, parmi les plus riches de Chine, a donc été désignée comme pilotes : deux régions (le Guangdong et le Hubei) et quatre municipalités (Pékin, Shanghai, Tianjin, Shenzhen et Chongqing). Au total, 700 millions de tonnes de CO2 sont couvertes, soit un tiers du marché européen. Chaque zone possède sa spécificité. Au Guangdong, « l'atelier du monde », le prix plancher d'échange s'élève à 60 yuans [7 euros] la tonne de CO2. A Tianjin et Shenzhen, le marché est accessible aux particuliers. Shanghai, elle, est la seule ville où le secteur de l'aviation est concerné. « Pour le moment, le gouvernement central, qui s'est contenté d'instructions générales, laisse les régions se débrouiller selon leurs spécificités locales », résume Simon Quemin, doctorant à la Chaire Economie du Climat de Paris Dauphine. A partir de 2015, la Chine procèdera à un bilan des réussites et des échecs, en vue de corrections et d'une mise en place, à l'horizon 2020, d'un marché national unifié.

Un marché qui s'inscrit dans un plan quinquennal innovant

« Le 12ème plan quinquennal [2011-2015], qui comprend un chapitre écologique inédit, vise à améliorer l'efficacité énergétique de l'économie chinoise, en baissant les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 45% par unité de PIB, d'ici 2020 par rapport au niveau de 2005, rappelle Benoit Leguet, chef de recherche chez CDC Climat. Pour atteindre cet objectif, Pékin, pragmatique, réfléchit à tous les outils à sa disposition. Le marché carbone en fait partie. » L'enjeu de cette conversion écologique est de concilier trois impératifs : continuer de produire mais autrement - via les énergies vertes qui réduiront la dépendance dans les énergies fossiles largement importées -, tout en polluant moins. Dans le cadre actuel de réaffirmation du marché, ici carbone, les entreprises sont censées intégrer peu à peu le facteur environnemental dès l'amont du processus de production. « En cela, le 12ème plan diffère du 11ème, focalisé sur l'approche réglementaire et administrative, finalement jugée trop punitive et peu incitative », constate Zhao Zhongxiu, universitaire chinois, coauteur de l'ouvrage « Développement vert à teneur faible en carbone ».

Un mécanisme encore obscur pour les entreprises

Parce que « la main invisible » du marché, fût-il de carbone, ne saurait être verte par nature, pour nombre d'observateurs, le défi de l'Etat chinois sera de s'imposer auprès des entreprises d'Etat et des potentats locaux, et d'assurer l'intégrité des organismes chargés de la collecte des données, du contrôle et de la formation.

Créé en 2012, le portail internet tanpaifang jiaoyi (« échange d'émissions de carbone ») se veut justement une plateforme d'assistance, la première du genre, souligne son directeur, Feng Lei. «Pour 8800 yuans [1065 euros] par personne, nous organisons régulièrement des formations d'une journée avec certificats à la clé, ajoute ce dernier. Les calculs du montant des émissions, de la production et de l'intensité énergétique qui en résulte en vue d'échanger des quotas... tout cela est technique et nouveau pour les managers, habitués, tout au plus, à s'acquitter de leurs émissions par une simple amende... » Chez les patrons, le désarroi, palpable, est toutefois relatif, puisque le marché carbone est balbutiant. Ainsi, à Shenzhen, la tonne s'est échangée jusqu'à 130 yuans [15 euros]. Le prix, élevé, incite théoriquement les entreprises à améliorer leur efficacité énergétique. Mais avec 635 entreprises et 30 millions de tonnes de CO2 sur le marché de Shenzhen, le changement de comportement reste limité.

« Pour l'instant, il importe sans doute peu pour les autorités chinoises que les volumes échangés soient réduits et que les émissions de CO2 continuent de croître. Pékin estime qu'on ne peut faire de miracles avec le parc actuel de centrales électriques », conclut M. Leguet. « En revanche, avec la mise en place des marchés du carbone, ce que peuvent faire maintenant les entreprises, c'est anticiper leur impact environnemental futur et investir en conséquence. » Et asseoir les bases de la bourgeonnante économie bas carbone que Pékin appelle de ces vœux.

Edgar Dasor, à Pékin
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