Publié le 20 janvier 2015

ENVIRONNEMENT

Pêche en eau profonde : la nouvelle volte-face d’Intermarché

La Scapêche veut faire certifier sa pêche en eau profonde par le label durable MSC ("Marine Stewardship Council"). Cette démarche de la flotte d’Intermarché surprend à plus d’un titre. La Scapêche avait assuré en décembre 2013 ne plus cibler les espèces en eau profonde. Cette pêche est par ailleurs largement reconnue par la communauté scientifique comme très destructrice pour l’environnement, donc non durable. Eclairage.

Manifestation à Paris le 19 novembre 2014 contre la pêche en eau profonde.
© Yann Corbi / Citizenside

La Scapêche n’a finalement pas renoncé au chalutage en eau profonde. La flotte du groupe Intermarché souhaite même montrer que ses captures d’espèces profondes sont durables. Elle a ainsi demandé une évaluation MSC (l’écolabel international) pour sa pêcherie de la lingue bleue, du grenadier de roche et du sabre noir au chalut, trois espèces qui vivent dans les profondeurs de l’Océan.

La démarche de labellisation de la Scapêche entre en contradiction avec les propos que tenait son directeur général, en décembre 2013. Fabien Dulon déclarait que les espèces d’eau profonde ne seraient plus ciblées par sa pêcherie. Ce revirement n’est qu’un des nombreux reniements de la filiale d’Intermarché sur ce dossier, selon l’organisation non gouvernementale Bloom. Cette ONG, qui milite depuis dix ans pour l’interdiction de la pêche en eau profonde, n’a de cesse d’épingler le lobbying de la Scapêche.

 

Volte-face gouvernementales

 

Et les faits lui donnent raison. La responsabilité française dans le vote du parlement européen contre l’interdiction du chalutage en eau profonde dans l’Atlantique nord-est avait un peu trop mis en lumière le lobby français de la pêche. Des déclarations d’apaisement de la part d’Intermarché annonçant qu’il limiterait volontairement cette pêche avaient alors suivi.

Mais voilà que trois mois plus tard, en mars 2014, le gouvernement français, qui s’était engagé à revoir sa position sur la pêche en eau profonde lors de la conférence environnementale de 2013, a adressé un message contraire à la Commission européenne. En novembre 2014, Ségolène Royal, la ministre de l’Ecologie, est même venue plaider auprès des pêcheurs bretons pour un encadrement plutôt qu’une interdiction de la pêche en eau profonde. Autant de volte-face gouvernementales qui témoignent de l’efficacité du lobbying de certains industriels de la pêche française.

Claire Nouvian, de l’ONG Bloom, fustige le "double jeu odieux de Scapêche, qui proposait la paix aux ONG tout en conduisant un lobbying en sous-main pour empêcher l’interdiction du chalutage en eau profonde".

 

Trop peu de connaissances pour définir les conditions d’une pêche durable

 

La Scapêche réussira-t-elle à décrocher le label MSC? Aujourd’hui, les arguments en faveur d’une pêche en eau profonde durable semblent durs à trouver.

De nombreux scientifiques se sont déjà exprimés sur les destructions écologiques massives du chalutage en eau profonde, à cause de la fragilité des habitats et des taux de renouvellements très lents des espèces. Selon Philippe Cury, directeur de recherche dans une Unité mixte IRD-Ifremer, les connaissances actuelles sur les dynamiques de population des espèces profondes ne sont pas suffisantes pour définir les conditions d’une pêche durable.

D’autant plus que le chalutage est une pêche non sélective: pour trois espèces ciblées, c’est une centaine d’espèces qui est pêchée, comme le rappelle un article dans la revue scientifique "Nature".

 

Le WWF envisage de retirer son soutien au label MSC

 

Des études de l’Ifremer, rendues publiques en juillet 2014 sous la pression de plusieurs ONG – dont Bloom, Greenpeace, le WWF ou encore la Fondation GoodPlanet – montrent également que les dégâts environnementaux du chalutage profond sont aussi importants que ses impacts économiques sont faibles.

Le MSC se retrouve donc avec un cadeau empoisonné sur les bras. Il devra trancher la question de la durabilité de cette pêche à l’issue d’une évaluation de 17 mois. S’il accorde son label à cette pratique tant décriée, c’est tout le processus de certification qui pourrait être décrédibilisé. Le WWF envisage déjà de retirer son soutien au label MSC "s’il était attribué à un opérateur pratiquant le chalutage profond dans les eaux européennes".  

Magali Reinert
© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

Pour aller plus loin

Environnement, pêche, agriculture : les votes des députés européens passés au crible

C’est une initiative du WWF (World Wide Fund). Alors que les élections européennes se tiendront en France le 25 mai prochain, l’organisation non gouvernementale (ONG) a décidé d’évaluer les votes des partis politiques et des députés européens entre 2009 et 2014. Une analyse qui laisse peu...

ENVIRONNEMENT

Biodiversité

Préserver la diversité des écosystèmes est indispensable pour gérer durablement les ressources de la planète. Quelles doivent être les conditions d’utilisation de ces ressources ? Peut-on breveter des plantes et pour quels usages ? Autant de questions posées au secteur cosmétique et pharmaceutique.

Pavillon reve artificialisation sol michel picq unsplash

Le rêve pavillonnaire, un imaginaire à reconstruire face à l'urgence écologique

C'est une addiction française qui a été ravivée par la crise sanitaire. Désir de liberté, d'espace, de tranquillité, le pavillon reste ancré dans l'imaginaire comme l'habitat idéal. Deux sociologues, Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé lui dédient un livre : "Le pavillon, une passion française". Mais...

Protestation contre chalutiers geants ONG Bloom FRED TANNEAU AFP

Après les jets privés, un compte Twitter traque les méga-chalutiers qui épuisent les ressources

L’association de défense des océans Bloom vient de lancer Trawl watch, un compte Twitter permettant de suivre les pratiques des chalutiers dans les eaux françaises. Sur le modèle des comptes traquant les déplacements en jet privés, l’ONG espère braquer les projecteurs sur les impacts controversés de...

IStock @ratpack223 exploitation minière abysse océan fonds marin

Accord historique pour protéger la haute mer : pourquoi c'était inespéré après 15 ans de négociations

Les États membres de l'ONU se sont enfin mis d'accord sur le premier traité international de protection de la haute mer. Les négociations lancées il y a une quinzaine d'années ont abouti dans la nuit de samedi à dimanche 5 mars. Le texte, qui se veut contraignant, prévoit la création d'aires marines...

Laboratoire scientifiques pesticides tests autorisation iStock

L’État attaqué sur la toxicité des pesticides : "Nous sommes les cobayes de l’industrie"

Nouveau recours contre l'État. Une trentaine d'organisations et 28 députés ont saisi jeudi 2 février le Conseil d'État afin d'ordonner au gouvernement de respecter la règlementation européenne en matière d'évaluation des pesticides. Celle-ci exige de prendre en compte la toxicité de l'ensemble des...