Publié le 13 mai 2016

ENVIRONNEMENT

Loi biodiversité : les sénateurs refusent de fixer une date butoir à l’interdiction des néonicotinoïdes

Les sénateurs ont adopté en seconde lecture le projet de loi sur la reconquête de la biodiversité. Sur la question des néonicotinoïdes, ils ont refusé de fixer une date butoir pour leur interdiction et s’en remettent à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Les sénateurs ont par ailleurs validé l’inscription du préjudice écologique dans le code civil mais renoncé à instaurer une taxe sur l’huile de palme. Le texte doit désormais passer devant une commission mixte paritaire d’ici la fin du mois de mai.

Selon les organisations écologistes, qui plaident pour l'arrêt total et rapide des néonicotinoïdes, 30% des colonies d'abeilles meurent chaque année, contre 5% avant l'introduction de ces pesticides sur le marché français en 1995.
Fred Tanneau / AFP

C’est l’un des principaux sujets de discorde entre députés et sénateurs au sujet de la loi biodiversité : l’interdiction des insecticides de la famille des néonicotinoïdes, utilisés dans l’agriculture et considérés comme nocifs pour les pollinisateurs, notamment les abeilles. 

Le gouvernement n’aura pas réussi à créer le consensus. En deuxième lecture, les députés avaient introduit une interdiction des néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018, repoussant son entrée un vigueur d’un an et demi par rapport au vote en 1ère lecture pour "laisser le temps à la profession agricole de s’adapter".  Hier, dans la soirée, les sénateurs ont refusé de fixer une date butoir à l’interdiction de ces pesticides et acté que l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) se chargera d'identifier et d'interdire les usages des néonicotinoïdes si des produits de substitution présentent un bilan bénéfice-risque plus favorable.

 

Le revirement du gouvernement

 

L’amendement déposé par le gouvernement proposait de venir à bout de ces pesticides de manière "progressive et transversale au plus tard le 1er juillet 2020". Une position de compromis qu’il avait fallu trouver entre le ministère de l’Écologie et celui de l’Agriculture. "Nous avons beaucoup phosphoré pour trouver cette solution de compromis la plus adaptée possible" et qui introduit "une date butoir indispensable" a déclaré Barbara Pompili, la secrétaire d'État chargée de la biodiversité, devant les sénateurs, évoquant ainsi une "méthode pragmatique".

Le 11 mars, le ministre de l'Agriculture avait envoyé une lettre aux députés, en amont de l’examen du texte en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, pour les inciter à ne pas voter en faveur de l’interdiction totale des insecticides néonicotinoïdes. Stéphane Le Foll invoquait alors les possibles "distorsions entre les agriculteurs français et le reste des agriculteurs européens".

Finalement, le gouvernement est arrivé à une position commune et a d’ores et déjà saisi l’Anses afin qu’elle évalue le bilan bénéfice-risque de ces pesticides par rapport à des solutions de substitution. A partir de ces résultats, attendus le 31 décembre 2016, le gouvernement souhaitait que les néonicotinoïdes soient interdits au cas par cas dès le 1er juillet 2018, puis de manière générale à partir de juillet 2020. Mais les sénateurs ont en partie vidé l’amendement de sa substance et fait disparaître la mention d’une interdiction totale en 2020, malgré l’avis défavorable du gouvernement.

"Ce n’est clairement pas un bon signal : il n’y a pas de compromis entre les deux chambres sur une interdiction de principe, réagit Denis Voisin, de la Fondation Nicolas Hulot. Les sénateurs ont choisi de s’orienter vers une usine à gaz avec une charge de la preuve inversée pour chaque usage des néonicotinoïdes, plutôt que d’adopter une interdiction totale avec des dérogations pour les filières où il n’existe pas d’alternative." 

 

Une droite qui fustige l’écologie

 

A contre-courant de la majorité de son parti, le rapporteur du texte, le sénateur républicain de la Somme Jérôme Bignon, était lui aussi favorable au compromis proposé par le gouvernement. "Je tâche de faire preuve de pédagogie en expliquant qu’il va falloir arrêter d’utiliser ces produits, on n’est pas à deux ans près pour y parvenir. J’essaie de convaincre mes collègues que ce n’est pas une affaire de quelques écolos contre le reste du monde, mais une préoccupation partagée par l’immense majorité de la société", expliquait-il en amont du vote.

Mais l’opposition de certains agriculteurs a fait monter la pression ces dernières semaines sur ce sujet. Alors que plusieurs ONG et organisations professionnelles, dont la Confédération paysanne, ont demandé aux sénateurs de promouvoir des "alternatives sans chimie" à ces pesticides, l’AGPB (Association générale des producteurs de blé) ou encore la CGB (Confédération des planteurs de betterave) ont rétorqué que les solutions alternatives étaient "théoriques" et qu’elles "pénaliseraient les industries dont l’activité est liée aux niveaux des récoltes" avec des pertes de rendement importantes, "pouvant aller, selon les régions françaises, jusqu’à 20%" estime l’Institut technique de la betterave.

Par ailleurs, le climat à droite est loin d’être favorable aux thématiques environnementales. Nicolas Sarkozy, le président du parti Les Républicains, a lui-même donné le ton avec des déclarations qui n’ont pas manqué de faire polémique. Au sujet de la transition vers l’agro-écologie, il a estimé qu’il s’agissait d’une préoccupation pour "bobos", "faux nez d’une véritable obsession pour la destruction de notre puissance agricole".

 

Une biodiversité en perte de vitesse

 

Selon les organisations écologistes, qui plaident pour l'arrêt total et rapide des néonicotinoïdes, depuis le milieu des années 1990, 30% des colonies d'abeilles meurent chaque année. Avant 1995, date de l'apparition de ces pesticides sur le marché français, "les mortalités avoisinaient seulement les 5%", expliquent-elles. Une étude de Naturparif, publiée mardi 10 mai sur l’Ile-de-France, recense elle aussi une biodiversité appauvrie au cours des treize dernières années. La région parisienne a ainsi perdu un cinquième de ses oiseaux, les milieux agricoles 20% de leurs plantes et 18% de papillons. Une "baisse de biodiversité catastrophique" qui est notamment "l’effet des néonicotinoïdes, qui ne se contentent pas de tuer les abeilles mais perturbent l’ensemble de la biodiversité", martèle le sénateur écologiste Ronan Dantec.

Désormais, le projet de loi sur la biodiversité doit être examiné en commission mixte paritaire d’ici la fin mai. Si les deux chambres parlementaires n’aboutissent pas à un compromis, le dernier mot reviendra, comme toujours, à l’Assemblée nationale.

Concepcion Alvarez
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