Publié le 03 février 2023

ENVIRONNEMENT

L’État attaqué sur la toxicité des pesticides : "Nous sommes les cobayes de l’industrie"

Nouveau recours contre l'État. Une trentaine d'organisations et 28 députés ont saisi jeudi 2 février le Conseil d'État afin d'ordonner au gouvernement de respecter la règlementation européenne en matière d'évaluation des pesticides. Celle-ci exige de prendre en compte la toxicité de l'ensemble des composants des pesticides mis sur le marché. Or, aujourd'hui, seules les substances actives déclarées par le fabricant sont analysées. 

Laboratoire scientifiques pesticides tests autorisation iStock
Les requérants demandent une application de la réglementation européenne sur l’évaluation de la toxicité des molécules contenues au sein d’un même pesticide – connu également sous le nom d’'effet cocktail'.
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Une trentaine d’organisations parmi lesquelles Notre affaire à tous, la Confédération paysanne ou encore Générations futures, ainsi que 28 députés de la Nupes, ont déposé jeudi 2 février un recours au Conseil d’État pour contraindre le gouvernement à mieux prendre en compte la toxicité des pesticides avant leur mise sur le marché. Une mise en demeure avait été envoyée à la Première Ministre, Elisabeth Borne, en octobre dernier. Sans réponse de sa part, les requérants ont décidé de passer à l’étape suivante et de saisir la juridiction administrative.

"Nous demandons une réelle application de la réglementation européenne sur l’évaluation de la toxicité des molécules contenues au sein d’un même pesticide – connu également sous le nom d’'effet cocktail'", résume Philippe Piard, co-président de la campagne Secrets toxiques, lors d’une conférence de presse. "La réglementation est claire : elle prévoit qu’un pesticide ne peut être autorisé que s’il est démontré qu’il n’a pas d’effet néfaste à court ou à long terme sur la santé humaine ou l’environnement", assène-t-il.

"Pour l’insecticide Round Up, on n'analyse que le glyphosate"

Aujourd’hui, seules les substances actives des pesticides, déclarées par le fabricant, sont analysées, et non les formulations complètes, - c’est-à-dire la composition complète des pesticides tels qu’ils sont commercialisés. "Par exemple, pour l’insecticide Round Up, on n'analyse que le glyphosate", précise Guillaume Tumerelle, avocat de la campagne Secrets toxiques. Or, "nous avons relevé que de nombreuses substances contenues dans certains pesticides étaient non déclarées, ou déclarées substances inertes alors qu’elles avaient un effet important parfois jusqu’à mille fois plus toxiques que la substance déclarée active", ajoute-t-il.

Les requérants craignent que la toxicité réelle des pesticides ne soit ainsi bien supérieure à celle des substances actives déclarées. En outre, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, du 1er octobre 2019, indique que "les procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit". Et d’ajouter que les "tests sommaires" actuellement réalisés "ne sauraient suffire à mener à bien cette vérification".

Pour les associations et élus, l’État français ne se soumet pas à cette réglementation. "Je suis en colère d’être obligé d’en arriver là pour faire respecter le minimum en matière de protection des populations", réagit en conférence de presse le député LFI-Nupes de Gironde, Loïc Prud’homme. Il dénonce "l'opacité" et "le laxisme" de l’Anses (Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale), qui délivre les autorités de mise sur le marché. "Sur le glyphosate, l’argument consistait déjà à dire : ‘étant donné que la substance active est homologuée, circulez, il n’y a rien à voir’. L’Anses se félicite de retirer régulièrement des substances du marché, ça montre bien la carence de l'évaluation. Finalement, nous sommes les cobayes de l’industrie", lance-t-il.

Plaintes contre X 

En décembre 2020, plusieurs associations avaient déjà déposé des plaintes contre X, auprès du pôle "santé" du tribunal judiciaire de Paris, pour "fraude à l'étiquetage", "mise en danger de la vie d'autrui" et "atteinte à l'environnement", et contre l'État pour "carences fautives". Elles ont depuis été rejointes par d’autres organisations. En janvier 2022, un autre recours avait été déposé contre l’État pour manquement à ses obligations de protection de la biodiversité, notamment sur la mise sur le marché de pesticides justement. La procédure est calquée sur l'Affaire du siècle qui a réussi à faire condamner le gouvernement sur son inaction climatique.

"Ces deux procédures sont clairement liées. L’objectif est de faire avancer le droit existant en matière de protection de la biodiversité. Et on voit le pouvoir du judiciaire avec l’arrêt récent de la Cour de justice de l’Union européenne sur les néonicotinoïdes (qui interdit formellement aux États membres de contourner l’interdiction des semences traitées aux néonicotinoïdes, ndr). La France a été obligée de reculer", commente Marie Pochon, députée écologiste-Nupes de la Drôme.

"Nous n’allons rien lâcher tels des pitbulls afin d’en finir avec ces scandales d’État et ces scandales sanitaires", conclut Philippe Piard, qui refuse que l’affaire du chlordécone ne se répète. Un non-lieu a finalement été prononcé par la justice dans ce dossier alors que l’insecticide a empoisonné le sol de Guadeloupe et Martinique pendant des décennies.  

Concepcion Alvarez @conce1


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