Publié le 23 juin 2020
ENVIRONNEMENT
Reconnaître le crime d'écocide, est-ce vraiment la priorité ?
Les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) souhaitent que les Français s’expriment, au cours d'un référendum, sur l'intérêt de légiférer sur le crime d’écocide pour sanctionner les atteintes graves à l'environnement. Si les parlementaires français ont rejeté à deux reprises une telle proposition, la CCC propose une nouvelle définition fixant de nouveaux seuils à ne pas dépasser pour les entreprises, calés sur les limites planétaires. Mais pour certains experts, l'urgence est surtout de faire appliquer le droit actuel.

@CC0
C’est l’une des deux mesures que les 150 citoyens de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) souhaitent soumettre à référendum : l’introduction dans la loi du crime d’écocide. "Nous voulons créer une législation pour permettre de protéger nos écosystèmes de la dégradation et de la destruction, garantir l’habitabilité de notre planète et nous inscrire dans la maîtrise des gaz à effet de serre, en faisant porter la responsabilité juridique et financière sur les auteurs des déprédations" écrivent-ils.
L’idée n’est pas nouvelle. L’année dernière, deux propositions de loi ont été déposées par des parlementaires socialistes pour faire reconnaître le crime d’écocide, en vain. Le Sénat en mai, puis l’Assemblée nationale en décembre, les ont toutes deux rejetées. Mais les débats ont permis de faire émerger un vif intérêt pour le sujet, sur les bancs du Modem ou encore des Républicains, autour des notions de limites planétaires et de personnalité juridique de la nature.
Une pertinence préventive
C’est sur cette base que la CCC propose de légiférer sur l’écocide en proposant une nouvelle définition : "Constitue un crime d’écocide, toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées". La sanction devra comprendre une peine d’emprisonnement, une amende en pourcentage significatif du chiffre d’affaires de l’entreprise et l’obligation de réparation.
Afin de garantir la mise en œuvre de cette loi, la Convention propose d’y associer une Haute autorité des limites planétaires (changement climatique ; biodiversité ; azote et phosphore ; changements d’utilisation des sols ; acidification des océans ; utilisation mondiale de l’eau ; appauvrissement de l’ozone stratosphérique ; augmentation des aérosols ; introduction d’entités nouvelles dans la biosphère). Cette autorité administrative indépendante serait chargée de transcrire ces neuf limites au niveau national et de les réévaluer de façon périodique.
"L’écocide seul n’a pas trop d’intérêt mais il prend tout son sens s’il est associé à cette Haute autorité des limites planétaires", commente l’avocat Sébastien Mabile, spécialiste du sujet. "La notion d’écocide aurait alors une pertinence préventive car elle fixerait des seuils à ne pas dépasser pour les entreprises, au même titre que ce qui existe pour le climat. L’Oréal, par exemple, a mis en place un outil s’appuyant sur ces limites planétaires pour concevoir ses produits, c’est donc possible. Nous serions alors dans la continuation de l’histoire du droit de l’environnement qui détermine au fur et à mesure de nouveaux seuils à ne pas franchir", ajoute-t-il.
Des juridictions spécialisées
Reste qu’aujourd’hui, la très grande majorité des atteintes à l’environnement ne sont pas intentionnelles et constituent donc des délits et non des crimes. Or, ceux-ci font rarement l’objet de condamnations. Le contentieux environnemental ne représente que 1 % des condamnations pénales et 0,5 % des actions civiles. En outre, alors que 85 % des affaires sont poursuivables, le taux de classement sans suite est plus élevé que pour la moyenne des autres délits. Et lorsque les infractions environnementales sont jugées, elles donnent lieu à huit fois plus de remise de peine, à des amendes dont le montant est faible et à de très rares peines d’emprisonnement.
C’est pourquoi, la ministre de la Justice, qui s’était opposée à l’introduction du crime d’écocide, a annoncé en début d’année la création de juridictions spécialisées en environnement dans chacune des 36 cours d’appel que compte le territoire français afin de judiciariser davantage les atteintes graves à l’environnement. Le projet de loi introduit également un plaider coupable environnemental afin d'accélérer la procédure et réparer le préjudice écologique dans un délai de trois ans. Le texte a été adopté en première lecture au Sénat en février et son examen devrait reprendre à la rentrée.
Concepcion Alvarez, @conce1