Publié le 05 juin 2023

ENVIRONNEMENT

Dans les banques, pleins feux sur les chefs de projet biodiversité (3/5)

Alors que le climat occupe le devant de la scène, la destruction des écosystèmes commence à être prise au sérieux. Dans les banques, des chefs de projet biodiversité ont déjà défriché le sujet et sont aujourd'hui prêts à défendre l'importance d'investissements qui protègent la biodiversité. Toute la semaine, Novethic vous dévoile les dessous des nouveaux métiers clés de la transition écologique.

Costa Rica
Il s'agit pour les banques de savoir mesurer l'impact des entreprises sur la biodiversité. Ici, une forêt du Costa Rica.
@Alenka Skvarc / Unsplash

Un million d'espèces sont menacées selon l'IPBES, l'équivalent du Giec pour le climat, à tel point que de nombreux scientifiques évoquent la 6ème extinction de masse. Face à ce terrible constat, de nouvelles réglementations poussent les acteurs financiers à s'emparer du sujet. Signe d'un intérêt croissant, la valeur des fonds d'investissement qui visent à préserver ou restaurer la biodiversité a triplé entre 2021 et 2022

Alors que de nombreux fonds qualifiés de "durables" n'ont pas de bases scientifiques suffisamment solides et perdent en crédibilité, il est crucial pour les banques de savoir mesurer l'impact des entreprises sur la biodiversité. Ce travail est mené par des chefs de projet biodiversité depuis plusieurs années. Ces pionniers de l'ombre sont aujourd'hui mis en lumière afin de déployer leur travail à plus grande échelle.

"Mon rôle est de déterminer les bonnes pratiques de mesure en termes d'impact des entreprises sur la biodiversité mais aussi de leur dépendance avec la biodiversité. Nous partons de la base scientifique et l'appliquons à notre sujet, l'investissement. Il faut sélectionner les indicateurs qui sont les plus robustes scientifiquement", témoigne Robert-Alexandre Poujade, analyste de fonds responsable de la thématique de la biodiversité depuis 2017 chez BNP Paribas Asset Management, la filiale de gestion d'actifs de la banque BNP Paribas. Alors que l'impact climatique se mesure par l'unique empreinte carbone, l'effet des entreprises sur la biodiversité est beaucoup plus complexe, lié à de nombreux paramètres : artificialisation des sols, rejets de nitrates qui asphyxie les écosystèmes aquatiques, émissions de gaz à effet de serre qui, eux aussi, menacent les espèces...

"Tout le monde doit s'approprier les bons termes"

"Je suis comme un chef d'orchestre", lance le chef de projet. Une quinzaine d'analystes spécialisés dans l'analyse environnementale et sociale de fonds financiers se tournent vers lui pour toutes les questions liées à la biodiversité. Il doit aussi sensibiliser l'ensemble de l'entreprise, notamment les équipes commerciales, sur le sujet. "Tout le monde doit s'approprier les bons termes et rester basé sur la science en évitant d'utiliser des expressions vagues comme 'fonds verts' ou de parler de petites bêtes pour désigner le vivant. J'explique aussi les concepts de limites planétaires ou les facteurs de pertes de la biodiversité, qui ne sont pas si difficiles à comprendre" raconte-t-il.

Robert-Alexandre Poujade n'a pourtant pas de formation scientifique. Il a étudié la finance à l'ESCP Business School, une école de commerce, et a commencé à aborder la biodiversité en 2015 après 5 ans d'expérience dans le groupe. "La connaissance existe déjà dans les milieux scientifiques, il faut surtout faire le pont entre le monde de la recherche et celui des acteurs économiques", explique Robert-Alexandre Poujade. Au début, il fallait tout inventer. "J'étais à la recherche de modèles à suivre et d'exemples inspirants. L'un d'eux a été la banque centrale des Pays-Bas, la première banque à parler de la perte de la biodiversité comme un risque systémique", raconte le chef de projet.

"Mon métier est en constante évolution"

Aujourd'hui, Robert-Alexandre Poujade peut s'appuyer sur des groupements internationaux qui tentent d'apporter des référentiels communs et démontrent l'importance de la biodiversité pour la survie de l'économie. Pour rester à la pointe de la recherche scientifique, le chef de projet écume les conférences. Il participe par exemple à celles de la Global Research Alliance for Sustainable Finance and Investment (GRASFI), qui regroupe des universités spécialisées dans la finance durable, sponsorisée par ailleurs par BNP Paribas Asset Management. "Mon métier est en constante évolution", témoigne-t-il.

La réglementation, aujourd'hui en plein essor, braque les projecteurs sur ces médiateurs de la biodiversité. "J'étais étonné de la façon dont on me mettait en avant quand j'ai pris ce poste", témoigne Robert-Alexandre Poujade. Cela a commencé en 2018 avec le plan Biodiversité mis en place par le gouvernement français et s'est renforcé en 2021, avec la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), une réglementation européenne qui vise à promouvoir la durabilité dans le secteur de la finance. C'est particulièrement le cas en France, qui ajoute l'obligation de créer des rapports d'impact et des objectifs chiffrés sur le sujet de la biodiversité, avec l'article 29 de la loi Climat et résilience. Cependant, la biodiversité en finance reste encore à ses balbutiements, au second plan après les enjeux climatiques. Autre obstacle, "les entreprises manquent encore de transparence", témoigne Robert-Alexandre Poujade.

Fanny Breuneval


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