Publié le 26 octobre 2015

ENVIRONNEMENT
24 000 milliards $ … le patrimoine océanique à l’abandon
Il est le grand oublié des négociations climatiques. Pourtant, l’océan joue un rôle déterminant dans la lutte contre le réchauffement climatique. Et sa détérioration va avoir des conséquences environnementales mais aussi économiques désastreuses. Pour faire prendre conscience de l’urgence à agir, l’ONG WWF a dévoilé en avril dernier la valeur financière que représente le milieu marin. Et la somme a de quoi faire réfléchir.

Cinoby / istock
24 000 milliards de dollars, c’est la richesse estimée des océans. Le chiffre, largement repris par la presse en avril dernier, a été publié par le WWF dans un rapport intitulé "Raviver l’économie des océans : plaidoyer pour l’action".
Pour parvenir à ce montant, l’ONG s’est appuyée sur les calculs du Global Change Institute (université de Queensland) et du cabinet international Boston Consulting Group (BCG). Puis les experts ont additionné les bénéfices directs et indirects liés à l’océan.
4 300 milliards $ pour absorber 30 % du CO2 mondial
La production directe (poissons, mangroves, récifs coralliens, herbiers marins) est estimée à 6 900 milliards de dollars d’actifs. Les voies de navigation maritimes, qui constituent 90 % du commerce mondial, représentent 5 200 milliards de dollars. Le tourisme, lui, totalise 7 800 milliards de dollars. Et la séquestration du carbone est évaluée à 4 300 milliards de dollars. L’océan absorbe en effet 30 % des émissions de CO2 émises par l’homme chaque année. Pour estimer économiquement ce rôle, les experts se sont appuyés sur l’existence des marchés carbone et se sont basés sur un prix du carbone théorique, fixé à 39 euros la tonne.
C’est ainsi qu’ils arrivent à 24 000 milliards de dollars. Mais il s’agit d’un "minimum", précisent les auteurs de l’étude. Car cette estimation est très délicate à établir sachant qu’aujourd’hui les écosystèmes n’ont pas de valeur "marchande". Par exemple, que vaut un récif corallien ? Environnementalement parlant, le bien est en fait inestimable... En 1997, Robert Constanza, fondateur de l’Economie écologique, avait lui aussi tenté d’évaluer les services rendus par les écosystèmes de la planète. Déjà son estimation collait avec celle du WWF : 33 000 milliards de dollars par an, dont 21 000 milliards rien que pour les océans et les côtes !
Les mers absorbent 93 % du surplus de chaleur dû à l’effet de serre
Le chiffre de 24 000 milliards de dollars a surtout pour objectif de marquer les esprits, de provoquer une prise de conscience, afin de faciliter une meilleure prise en compte des enjeux liés à la préservation de l’océan et influer sur les choix stratégiques des décideurs. Et, à l’approche de la Conférence onusienne qui se tiendra à Paris à la fin de l’année (COP21), des négociateurs climatiques.
L’océan, qui recouvre 70 % de la surface de la planète, joue un rôle majeur dans la régulation du climat. Tout comme les forêts, les mers constituent le deuxième poumon de la planète. Elles produisent 50 % de l’oxygène que nous respirons, absorbent 93 % du surplus de chaleur dû à l’effet de serre et concentrent 50 fois plus de carbone que l’atmosphère. En bref, sans l’océan, le réchauffement serait bien plus important aujourd’hui.
+96 cm d’élévation du niveau de la mer d’ici 2100
Mais le réchauffement climatique déjà en cours a commencé à acidifier les océans. Cette acidification est supérieure de 27 % par rapport à l’ère préindustrielle et menace les écosystèmes marins. Selon le WWF, au rythme actuel, les récifs coralliens auront complètement disparu en 2050 alors qu’ils assurent aussi la protection contre les tempêtes et procurent alimentation et emplois à plusieurs centaines de millions de personnes.
La fonte des glaces et la dilatation thermique de l’océan (sous l’effet de la chaleur, les molécules s’éloignent les unes des autres et occupent un volume plus important) vont pour leur part contribuer à la montée du niveau de la mer. + 96 cm par rapport à la période 1986/2005 dans le scénario le plus pessimiste d’ici 2100. Avec des conséquences considérables pour les villes côtières et les petites îles qui se situent juste au-dessus ou au niveau de la mer.
A ces différents facteurs climatiques, il faut en plus ajouter la surpêche, autre cause majeure de la détérioration de l’océan, qui met en péril la source de protéines de centaines de millions de personnes. 90 % des stocks mondiaux de poissons sont surexploités ou pleinement exploités. Selon l’association Sea Shepherd, la surface chalutée chaque année est 150 fois supérieure à la surface de la déforestation.
Avec un réchauffement de 4°C, pas de retour en arrière possible
Une étude publiée dans la revue Science début juillet compare deux scénarios de réchauffement de la température globale d’ici à 2100 : + 2°C (objectif COP21) et + 4°C (trajectoire d’émissions actuelles si rien n’est fait). Dans le scénario 2°C, les dommages seront majeurs notamment sur les coraux tropicaux. Mais il sera possible de s’adapter. Dans le scénario 4°C en revanche, les marges de manœuvre seront extrêmement limitées ; le retour en arrière impossible. Presque tous les organismes seront concernés, avec des mortalités massives et des déplacements d’espèces.
Et pourtant, malgré ce constat et l’urgence à agir, l’océan reste le grand oublié des négociations climatiques. Jusqu’à présent, celles-ci se sont surtout concentrées sur l’engagement des Etats à réduire leurs émissions terrestres de CO2, sur le rôle du captage de CO2 par les forêts et sur les mesures d’adaptation au changement climatique.
Et si, pour la première fois, le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) a consacré deux chapitres entiers à l’océan dans son cinquième et dernier rapport, la COP21 de Paris n’abordera pas la question. Ce n’est que dans le cadre d’une rencontre avec la société civile que le milieu marin sera débattu au Bourget, loin de la table officielle des négociations.
64% des océans n’appartiennent à personne
Il faut dire qu’une bonne partie de l’océan se situe en dehors de toute juridiction nationale dont ne dépendent que les eaux intérieures et territoriales. Selon la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, entrée en vigueur en 1982, "la haute mer est ouverte à tous les États, qu’ils soient côtiers ou sans littoral". Cette zone concerne jusqu’à 64 % de la superficie des océans. Qui doit alors négocier ?
Pour avancer sur cette question, l’assemblée générale des Nations Unies a adopté, le 3 juin dernier, une résolution qui vise, à terme, à donner à la haute mer un statut juridique afin de protéger sa biodiversité marine. Selon le WWF, la première conférence de négociation de ce traité doit se tenir en 2018.