Publié le 30 mai 2023

ENVIRONNEMENT

Réduction du cheptel : la seule transition possible pour les éleveurs bovins

C'est l'un des secteurs les plus difficiles à transformer. Et les réactions au rapport de la Cour des comptes, qui préconise de réduire la taille du cheptel en France, en sont un bon indicateur. Pour les éleveurs, déjà acculés par une situation économique fragile, s'aligner avec les objectifs climatiques impose un changement radical de leurs pratiques. Une transition qui doit aller de pair avec la réduction de la consommation de viande.

Vaches elevage istock
La réduction du cheptel bovin est déjà une dynamique en cours. Les vaches laitières ont diminué de 17% entre 2000 et 2020 et les vaches allaitantes de 11% entre 2016 et 2022.
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Les éleveurs n’ont pas tardé à réagir. Quelques jours après la publication d’un rapport de la Cour des comptes appelant à réduire le nombre de bovins afin d’atteindre nos objectifs climatiques, une trentaine d’agriculteurs ont manifesté devant Bercy pour faire entendre leur colère. Il faut dire que le document a fait l’effet d’une bombe tant le sujet est polémique. La Cour des comptes recommande de "définir et rendre publique une stratégie de réduction" du cheptel bovin pour respecter les engagements climatiques de la France, et en particulier les engagements de réduction du méthane souscrits dans le cadre du Global Methane Pledge à la COP26.

"Lire que votre activité doit cesser ou largement diminuer, c'est très compliqué pour des éleveurs" déjà de moins en moins nombreux, estime Arnaud Rousseau, le président du syndicat agricole FNSEA. "Ils ont un sentiment d'abandon (...) de stigmatisation" sur l'autel de la décarbonation, assure-t-il. Aujourd’hui, l'élevage bovin pèse pour 11,8% des émissions de gaz à effet de serre du pays - comparables à celles des bâtiments résidentiels du pays - principalement à cause du méthane produit lors de la digestion des animaux. Et d’après les données du Citepa (Centre Interprofessionnel Technique d'Études de la Pollution Atmosphérique), l’élevage représentait 69% des émissions du secteur agricole en 2020. Cela explique qu’il soit visé en priorité. 

Une dynamique de réduction déjà à l’œuvre

"Tous les scénarios de transition misent sur la réduction du cheptel des animaux d’élevage", confirme I4CE dans une note consacrée aux actifs échoués dans la filière. Dès lors, tout l’enjeu est d’accompagner les éleveurs pour assurer "une transition juste et acceptable", précise le think tank. D’autant que dans les faits, la réduction du cheptel bovin est déjà une dynamique en cours. Les vaches laitières ont diminué de 17% entre 2000 et 2020 et les vaches allaitantes de 11% entre 2016 et 2022. On devrait passer de 17 millions de bovins aujourd’hui à environ 15 millions en 2035 et 13,5 millions en 2050. Mais "cette diminution reste subie et ne fait pas l'objet d'un véritable pilotage par l'Etat, au détriment des exploitants", observe la Cour.

Pour les éleveurs, déjà en grande difficulté financière, la solution doit d'abord passer par une réduction de l'importation. Car si la France est le premier producteur de bovins de l’UE, elle importe de l’ordre de 20% de sa consommation domestique de viande bovine. La Fabrique écologique, qui a également travaillé sur le sujet, compare la répartition des viandes produites et consommées en France. "On y remarque notamment les exportations de jeunes broutards – en grande partie vers l’Italie pour engraissement – et les importations de vaches de réforme – en grande partie d’Allemagne pour fournir une viande de qualité moyenne et peu chère (fabrication de viande hachée et de burgers)", constate-t-elle. 

Il conviendrait donc d’équilibrer la balance. Les experts, soutenus par le ministère de l’agriculture, préconisent pour cela de développer des races mixtes, produisant à la fois du lait et offrant un bon rendement qualitatif et quantitatif de viande afin de maintenir le niveau de collecte laitière tout en alimentant le marché de la viande et ainsi réduire les importations. La Fabrique écologique va plus loin en proposant de nourrir tous les animaux à l’herbe et de créer une mention "élevage à l’herbe". Cela aurait des effets positifs sur l'environnement, la santé et notre souveraineté alimentaire. Et permettrait de libérer de 3 à 5 millions d’hectares de terres arables, qui servent aujourd’hui à produire de la nourriture pour les ruminants.

Une indispensable réduction de la consommation

Mais toutes ces mesures n’auraient d’effets que si nous réduisons en parallèle notre consommation de viande, rappellent à l’unisson le ministère de l’Agriculture, les ONG environnementales et la Cour des comptes, partageant là au moins une conviction. Or, en France, la consommation totale de viande ne fait qu’augmenter (+50% entre 1970 et 2021), et un tiers des Français dépassent le plafond de 500 grammes de viande rouge par semaine préconisé par le Plan national nutrition santé. Si on mange toutefois plus de volailles et légèrement moins de bœuf, au rythme actuel, aucune des cibles de consommation durable de viande n’a de chances d’être atteinte d’ici 2050, selon I4CE.

Le think tank propose d’activer trois leviers : changer l’offre alimentaire (en restauration et en distribution), changer les représentations sociales (via la publicité, les programmes scolaires, télévisés, etc.) ou encore changer la fiscalité et la réglementation (via par exemple une réforme de la TVA sur les produits alimentaires). Mais le ministère de l’Agriculture fait le dos rond. Dans sa réponse au rapport de la Cour des comptes, il se contente de renvoyer l’effort sur la réduction de méthane aux pays pétroliers. Or, en France, la majorité des émissions de méthane proviennent bien de l’élevage.

Concepcion Alvarez


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