Publié le 19 juillet 2017

ENVIRONNEMENT

"Les États généraux de l’alimentation sont l'occasion de redonner ses lettres de noblesse à l'agriculture", Claude Gruffat (Biocoop)

Les États généraux de l'alimentation s'ouvrent le jeudi 20 juillet. Au programme : la question de la répartition de la valeur et le développement d'une agriculture saine, durable et accessible. Une occasion "formidable" pour pousser la bio selon Claude Gruffat, président du réseau de distribution spécialisée Biocoop et auteur du livre "Les dessous de l’alimentation bio".

Selon le cabinet Xerfi, les grandes surfaces alimentaires seront les grandes gagnantes de la vague de démocratisation du bio en France d’ici 2020.
Loïc Venance / AFP

Novethic - Les États généraux de l’alimentation s’ouvrent demain. Qu’en attendez-vous ?  

Claude Gruffat - Beaucoup de choses ! Je trouve intéressant qu’un Président qui vient d’arriver au pouvoir dise qu’il y  a une question sociétale sur l’avenir alimentaire du pays. Que les États généraux soient mis en œuvre si vite signifie que le sujet est considéré comme prioritaire. C’est un message très important. Et c’est l’occasion de redonner ses lettres de noblesse à l’agriculture. La question reste maintenant de savoir ce qui y sera réellement discuté, mais aussi quels sont les problèmes et les solutions qui seront mis en avant.

Deux thèmes majeurs devraient être abordés :"la création et répartition de la valeur" et "l’alimentation saine, durable, et accessible à tous". Ils sont en résonance avec la Bio, la forme d’agriculture que vous portez…

Effectivement. C’est une occasion formidable alors que l'agriculture bio en France est à l’aune d’un changement d’échelle majeur. Il n’y a jamais eu de croissante aussi forte. Elle devient une réalité socio-économique dans le paysage agricole et alimentaire des Français. Le côté positif, c’est la démocratisation des aliments sans pesticides et le fait qu’ils soient plus accessibles. Mais le risque est celui de la banalisation et du glissement du bio vers les travers du conventionnel via la massification des volumes et sa distribution dans les circuits classiques.

Comment éviter cette dérive? 

L’agriculture que nous défendons chez Biocoop est ce que j’appelle "La" Bio, en opposition à un bio qui se limite à une conformité à un cahier des charges environnemental. Cette agriculture privilégie la juste répartition de la valeur ajoutée plutôt que la taille et le volume. Chez Biocoop, le commerce équitable représente 21% de notre chiffre d’affaires, contre "zéro virgule quelque chose" dans la grande distribution. La Bio, c’est un modèle agricole, économique et commercial qui est plus qu’un cahier des charges. C’est un projet de société, environnemental et humain, qui répond aux besoins alimentaires et qui intègre la question de la biodiversité des cultures. Il est basé sur un modèle de commerce social et solidaire (ESS), ancré dans l’économie réelle. Dans la bio, il n’est pas possible d’avoir de "fermes des 1000 vaches", ni de tomates sous serres cueillies par des travailleurs détachés ou des migrants.

Cette agriculture aura-t-elle sa place dans les États généraux ?

Je l’espère. Personnellement, j’ai fait ma demande pour participer aux ateliers et je suis loin d’être le seul représentant de la Bio qui ait fait cette démarche. Il serait incroyable que l’on parle d’États généraux de l’alimentation sans que nous soyons dignement représentés.

L'agriculture bio reste un modèle minoritaire en France…

Nous sommes de plus en plus entendus sur notre façon de voir le monde et de travailler. Si ce modèle reste minoritaire sur un plan économique, il a fait la preuve de sa viabilité. Biocoop, c’est 26% de croissance de chiffre d’affaires en 2016. Et le monde paysan suit. 27 000 agriculteurs sont en bio en France. Ils vivent mieux, économiquement et humainement. C’est important pour une profession en crise, dans laquelle les agriculteurs ne vivent pas de leur production et où le taux de suicide reste dramatiquement élevé. Je rappelle que, sur une même surface agricole, le bio emploie 2,5 fois plus que le conventionnel. Le modèle agricole conventionnel reste très réticent mais la réalité est là.

Quels sont ses freins ?

Il est très compliqué, culturellement, de remettre totalement en cause un modèle dominant depuis plus de 60 ans et qui a apporté les réponses qu’on lui demandait. C’est-à-dire rendre la France autonome sur le plan alimentaire. Depuis 1962, il n’y a pas eu de nouvelles lois d’orientation agricole. On a gardé le même cap alors que ce modèle industriel et productiviste, dont on a fait un outil de compétition industriel plutôt qu’un moyen de nourrir les hommes, ne répond plus aux besoins des agriculteurs. Les grandes coopératives céréalières ne vivent plus de leur cœur de métier. Elles ne dégagent plus leurs résultats de la vente du blé mais de celle des pesticides ! Le modèle conventionnel s’épuise dans le besoin - toujours croissant - de subventions publiques. Un modèle dont les agriculteurs ne tirent aucune fierté. Résultat, l’agriculture française est en crise et les agriculteurs sont en souffrance.

Mais comment changer la donne sachant que, dans votre livre (1), vous expliquez que la Bio telle que vous l’entendez, est incompatible avec le modèle de la grande distribution, qui reste majoritaire ?

La grande distribution ne doit pas se baser sur la chasse aux prix en favorisant les produits d’exportation. Elle doit faire des contrats dans la durée avec les coopératives agricoles françaises, reposant sur leur capacité à fournir des produits bio en grands volumes. Le monde de la bio spécialisée comme Biocoop a déjà fait une partie du travail en créant les filières locale et payée au juste prix, plébiscitées par les consommateurs. C’est ce que montre par exemple la marque C’est qui le patron ?. Le principal frein au bio est sa disponibilité dans les magasins de proximité.

Reste quand même la question du prix, qui est plus élevé pour les produits bio…

La réalité est que le conventionnel n’est pas vendu à son vrai prix parce que le prix environnemental n’est pas intégré. C’est un prix truqué qui mixe subventions et impôts. L’alimentation conventionnelle se produit à un prix tel que, sans subventions, aucun consommateur ne pourrait l’acheter. L'agriculture bio paye à tous les étages pour produire et se faire contrôler. Il faut remettre de l’équité sur la question du prix. J’espère que les États généraux seront l’occasion de le faire. 

Propos recueillis par Béatrice Héraud @beatriceheraud

(1) Les dessous de l’alimentation bio, Claude Gruffat, juillet 2017, éditions La Mer Salée.


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