Publié le 04 mai 2015
ENVIRONNEMENT
Glyphosate : l’inquiétante cécité des agences d’évaluation
L’Union européenne avait le feu vert pour renouveler cette année l’autorisation du glyphosate. Or, cette substance vient d’être classée comme cancérigène par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Comment expliquer une telle divergence dans l’évaluation de cet herbicide le plus utilisé au monde ? Décryptage.

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Le 20 mars dernier, le classement par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) du glyphosate comme un cancérigène probable pour l’homme a officialisé ce que des organisations écologistes et des scientifiques clamaient depuis des années.
Si la reconnaissance de cette toxicité n’est donc pas vraiment une surprise, elle n’en reste pas moins alarmante : le glyphosate est la substance active de nombreux herbicides, en particulier le Roundup de Monsanto, répandus chaque année sur des millions d’hectares à travers le monde.
Autorisée en Europe depuis 2002, cette substance est aujourd’hui largement retrouvée dans notre environnement et dans nos organismes. En France, le glyphosate est le produit le plus mesuré dans les cours d’eau contaminés par des produits phytosanitaires (soit près de 90 % des cours d’eau) selon une étude publiée en mars 2015 par le ministère de l’écologie.
Cette année justement, l’Union européenne doit se prononcer sur le maintien ou non de l’autorisation du glyphosate. Or, surprise, le renouvellement de l’autorisation semblait acquis. En effet, l’agence de sécurité sanitaire allemande Bfr, l’organisme chargé de réévaluer la toxicité du glyphosate au nom de l’Union européenne, avait rendu un avis favorable en 2014. L’agence allemande ne constatait aucun effet cancérigène pour l’homme, et proposait même une augmentation de la dose journalière acceptable (de 0,3 à 0,5 mp par jour et par kg de masse corporelle).
Comment le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer), une agence de l’OMS basée à Lyon, peut-il conclure à l’inverse quelques mois plus tard ?
Des salariés de Bayer et de BASF siègent à l’agence chargée de l’évaluation
De nombreuses études scientifiques montrent depuis vingt ans la toxicité du glyphosate et du Roundup sur les animaux (lire notamment les propos du professeur Bellé). L’ONG allemande Testbiotech a montré comment l’agence allemande les avait écartées, au profit des celles mises en avant par l’industrie.
Le système d’évaluation des agences sanitaires favorise en effet les études des entreprises chimiques, grâce à la mise en place de normes valorisant les standards industriels plutôt que ceux de la recherche publique. Le secret industriel rend également le système d’évaluation opaque, puisque que les études privilégiées ne sont pas publiques.
L’expertise de l’agence allemande pose également des problèmes déontologiques, selon des ONG allemandes et européennes, alors que plusieurs salariés de BASF et Bayer siègent au comité "pesticides et leurs résidus" de Bfr. " Les enjeux autour du glyphosate semblent pris dans une saga sans fin de délais et de conflits d’intérêts ", estime l’ONG Corporate Europe Observatory, qui rappelle que la réévaluation du glyphosate aurait dû être faite en 2012 et a été repoussée à 2015. L’EFSA (Agence sanitaire européenne) devra donc se positionner au regard de deux avis contradictoires, celui du Circ et celui de Bfr.
Un cancérigène identifié depuis 20 ans
Outre-Atlantique, les autorités sanitaires ont également été interpellées à la suite de nouvelles classifications de l’OMS. L'agence américaine de protection de l'environnement EPA avait d’ailleurs déclaré le glyphosate potentiellement cancérigène dès 1985, pour se rétracter en 1991 et affirmer son innocuité.
Plusieurs ONG écologistes lui demandent aujourd’hui des comptes.
Au Brésil, c’est le procureur de la République qui a réclamé une réévaluation immédiate de la toxicité du glyphosate. En Argentine, le syndicat des médecins et professionnels de la santé Feprosa, qui compte 30 000 membres, appelle à l’interdiction du produit. Dans ces pays, les cultures de maïs, de soja et de coton sont des plantes génétiquement modifiées résistantes au glyphosate, ce qui a conduit au traitement massif des cultures, en particulier par épandage aérien.