Publié le 16 janvier 2020
ENTREPRISES RESPONSABLES
Devoir de vigilance : les PME en première ligne, sans être assez accompagnées par les donneurs d'ordre
Bonne nouvelle : les obligations dues au devoir de vigilance permettent de diffuser les principes de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans toute la chaîne de valeur des entreprises. Mauvaise nouvelle : ces exigences pèsent en particulier sur les PME sans qu’elles soient réellement accompagnées par les donneurs d’ordres. Pire, ceux-ci ne se montrent pas suffisamment exemplaires, selon leurs fournisseurs qui leur reprochent des manquements de base comme l’allongement des délais de paiement.

@xubingruo
Trois ans après l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance, celui-ci s’ancre dans la gestion de la chaîne de valeur. Pour satisfaire leurs obligations de prévention et de réduction des risques environnementaux et sociaux, les donneurs d’ordre demandent de plus en plus à leurs fournisseurs des données sur leurs actions et résultats en matière de responsabilité sociétale (RSE). Tant et si bien que pour Guillaume de Bodard, de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) : "Le devoir de vigilance a tout simplement été délégué aux PME".
Près de 80 % des PME françaises sont ainsi sollicitées par leurs donneurs d’ordre sur les sujets de RSE selon une étude Pwc-Orse-Bpifrance, que ce soit pour signer une charte ou un code de conduite, se déclarer en conformité avec les principales normes sociales et environnementales (santé/sécurité, gestion des déchets, éthique des affaires ou droits humains), signer des clauses dans leur contrat ou se soumettre à une évaluation extra-financière.
La RSE, un passage obligé mais peu valorisable
Versant positif, selon la majorité des dirigeants interrogés, ces exigences permettent aux PME d’améliorer leurs offres, leur process et leur gouvernance. Souvent, cela leur permet même d’améliorer leurs relations avec leurs clients, en discutant sur des critères autres que financiers. Les PME sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à s’engager dans des processus de labellisation RSE, même si leurs clients ne l’exigent pas. Revers de la médaille, les fournisseurs estiment que ces nouvelles exigences pèsent beaucoup sur leurs épaules, pas toujours assez larges pour y faire face. D’autant que leurs plus gros clients, les grands groupes donneurs d’ordre, ne se montrent pas toujours exemplaires.
Ainsi, si la RSE est devenue un passage quasi obligé pour permettre aux PME d’accéder aux marchés, "celle-ci a encore peu d’impact sur les prix de vente", souligne Jérémy Houssin, consultant en stratégie chez PwC France. Les entreprises qui répondent aux exigences de leurs donneurs d'ordres n'obtiennent pas de valorisation financière, assurent 80 % des interrogés. De plus, les PME n’ont aucun retour sur les informations envoyées via les nombreux questionnaires extra-financiers ou sur les audits réalisés, pourtant chronophages.
Un manque de cohérence des donneurs d'ordres
Les donneurs d’ordre sont peu nombreux à accompagner les PME pour structurer leur politique RSE, que ce soit à travers des aides financières (6 %), des formations (13 %) ou la définition d’un plan d’action (39 %). Pourtant, pour pouvoir diffuser les exigences RSE sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, les donneurs d’ordres délèguent souvent à leurs fournisseurs directs (de rang 1) le soin de répercuter ces exigences sur leurs propres fournisseurs (de rang 2), souligne Rebecca Strekelorum professeur à ICN Business School Artem.
Enfin, les donneurs d’ordres ne respectent pas toujours certaines obligations minimales en termes de contractualisation, dénoncent près de 70 % des PME interrogées. Ils mettent en avant une pression sur les prix, des clauses contractuelles déséquilibrées et des délais de paiement à rallonge. Selon une étude publiée en juin dernier par le Médiateur des entreprises, les retards de paiements se sont aggravés en 2019 et conduisent à la faillite de plus d’une entreprise sur quatre. Résultat, ce sont parfois les fournisseurs, notamment des TPE, qui refusent de travailler avec certains donneurs d’ordre en raison de leurs pratiques environnementales ou sociales.
"La confiance entre les fournisseurs et les donneurs d’ordre n’est pas là. Aujourd’hui, les TPE-PME ne croient pas les discours, même s’ils peuvent être traduits dans la réalité, portés par les grands groupes et grandes ETI", estime le médiateur des entreprises Pierre Pelouzet. "Il faut être cohérent : on ne peut pas demander plus de RSE aux PME sans leur donner les moyens de le faire et en leur déléguant toute la responsabilité, via des clauses contractuelles par exemple. Certes, sur le temps long les achats responsables progressent, mais nous sommes aujourd’hui dans l’urgence et celle-ci n’est pas adressée".
Béatrice Héraud, @beatriceheraud