Publié le 23 juin 2016

ENTREPRISES RESPONSABLES
Les aspects sociaux et environnementaux de la chaine d’approvisionnement : l’angle mort de la RSE
Malgré la médiatisation de drames comme l’effondrement du Rana Plaza, la performance moyenne des entreprises en matière de gestion responsable de la chaîne d’approvisionnement reste faible. Et ce dans tous les pays. C’est le constat d’une étude sur le respect des droits humains, sociaux et environnementaux dans la gestion des chaines internationales d’approvisionnement et de sous‐traitance, publiée par Vigeo Eiris.

Munir Uz Zaman / AFP
"La plupart des industries ont encore un long chemin à parcourir pour présenter une gestion responsable de la chaîne d’approvisionnement." C’est le constat que dresse Fouad Benseddik, Directeur des méthodes et des relations institutionnelles de Vigeo Eiris, au vu de l’étude que l’agence de notation vient de publier (1).
En effet, "malgré la médiatisation d’événements tragiques, tels que l’effondrement du Rana Plaza, (…) seule une minorité d’entreprises parvient à démontrer qu’elle assume une gestion responsable de sa chaine d’approvisionnement" avec un score moyen d’intégration des facteurs sociaux et environnementaux dans la chaîne d’approvisionnement : respectivement 33,8 et 31,5 sur 100.
L’intégration des critères sociaux et environnementaux dans les décisions d’achats et dans le pilotage des chaines d’approvisionnement est un des thèmes au sujet desquels les entreprises cotées communiquent le moins et fournissent le moins d’indicateurs. Mais c’est aussi un des sujets sur lesquels elles sont le moins controversées, constate l’agence de notation. Et l’un des facteurs de responsabilité sociale les moins soulevés par les parties prenantes. Bref, "c’est l’angle mort de la RSE", affirme ainsi Fouad Benseddik lors de la présentation de l’étude.
Certains secteurs ont atteint la cote d’alerte
Ainsi, alors que plus d’une entreprise cotée sur cinq dans le monde a fait l’objet d’allégations pour des faits de corruption, elles sont moins de 7% à l’être directement et publiquement sur des sujets ESG liés à la chaîne d’approvisionnement (ex : huile de palme, bien-être des animaux, pollution environnementale, régimes esclavagistes dans l’industrie textile ou des crevettes en Thaïlande). Toutefois, le nombre de mises en cause judiciaires sur des cas de violation des droits humains ou environnementaux commence à devenir significatif (ex : BP et la marée noire du golfe du Mexique, poursuites judiciaires dans le cadre du Rana Plaza, Nestlé USA sur le travail des enfants…). "Et le débat qui s’est noué en France sur le devoir de vigilance des entreprises à l’égard du comportement de leurs filiales, même s’il n’a pas été tranché sur le plan législatif, confirme qu’il s’agit d’un champ de risques auxquels les entreprises ont intérêt à être attentives", prévient Fouad Benseddik.
Pour certains secteurs, les controverses sur le thème des achats et de la gestion de la chaine internationale d’approvisionnement ont "déjà atteint la cote d’alerte". C’est le cas du secteur alimentaire, des produits de luxe et cosmétiques et de l’énergie (31%, 26% et 22% des controverses environnementales) et des secteurs de la distribution spécialisée et de la grande distribution (24% et 13% des controverses sociales).
Et pourtant… Si l’on prend l’exemple de la grande distribution, 40% des chaines de supermarchés évaluées par Vigeo Eiris ne fournissent aucune information sur le type de mesures mises en œuvre pour assurer le respect des normes sociales et environnementales dans leur chaine d’approvisionnement. Et ce alors qu’elles sont attaquées sur la forte pression qu’elles mettent aux fournisseurs par le biais de prix toujours plus bas ou sur l’emploi de travailleurs migrants (notamment dans les chaines d’approvisionnement des supermarchés britanniques).
Un manque de preuve
Environ un tiers des entreprises déclare avoir mis en œuvre des audits mais "l’information demeure très pauvre sur les facteurs de risques audités, les méthodes utilisées, l’indépendance des auditeurs ou encore le suivi des incidents et des non‐conformités". Gros point noir : la majorité ne signale pas si elles ont mis ou non en œuvre des mesures correctives suite à des incidents, "ce qui mine l’utilité des audits et autres mesures", pointe l’étude.
Très peu d’entreprises (moins de 3%) fournissent des preuves qu’elles s’engagent avec les parties prenantes, telles que des ONG ou des syndicats, pour éviter le dumping social et environnemental. Dommage, quand on sait qu’elles jouent un rôle central et qu’elles peuvent être des accompagnateurs de changement efficaces, par le biais d’accords-cadres mondiaux avec les syndicats ou des partenariats avec des ONG par exemple.
Par ailleurs, quand elles rendent compte de leurs engagements avec leurs fournisseurs, les entreprises semblent se concentrer davantage sur la sélection et le contrôle que sur le développement de relations justes et équilibrées avec eux.
À noter que, dans son étude, Vigeo-Eiris fait aussi le classement des entreprises les plus performantes au niveau de l’intégration des facteurs environnementaux et sociaux (classements séparés) dans les chaines d’approvisionnement. Cinq entreprises françaises figurent dans ces classements tels que Danone, Schneider Electric et Orange pour l’environnement. L’Oréal et Lafarge se distinguent sur le social.
Les entreprises distinguées sont à la fois de tailles, de secteurs et d’origine géographiques différents (moins vrai pour le social, où 75% du TOP20 est européen), ce qui montre que ni la règlementation, ni la concurrence n’est vraiment un facteur déterminant. Ce qui fait la différence, selon Fouad Benseddik, c’est davantage l’implication des dirigeants. L’autre point commun de ces entreprises étant d’avoir été exposées à des controverses…