Publié le 13 juin 2016
ENTREPRISES RESPONSABLES
Reporting public, rémunération des dirigeants, lanceurs d’alerte, lobbyistes : ce qu’il faut retenir de la Loi Sapin 2
Vingt-trois ans après la première loi sur la corruption et la transparence économique, les députés ont examiné la semaine dernière, en première lecture, le projet de loi relatif à la transparence économique, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dit projet de loi Sapin 2. Un reporting public pour les multinationales de plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires a été adopté, de même qu’un cadre protecteur pour les lanceurs d’alerte et un répertoire unique pour les lobbyistes. Le vote des actionnaires sur la rémunération des dirigeants devient quant à lui contraignant. Revue de détail des mesures adoptées à l’Assemblée nationale.

Eric Piermont / AFP
Reporting fiscal public pays par pays
C’est l’une des dispositions les plus symboliques mais aussi les plus contestées de la loi Sapin 2, quelques semaines après le scandale des Panama Papers. Les députés ont dû une nouvelle fois trancher sur la mise en place d’un reporting fiscal public pour les multinationales.
Plusieurs amendements proposant un reporting public pays par pays mondial, pour les entreprises de plus de 100 millions d’euros de chiffre d'affaires, exploitable en open data, ont été rejetés. A la place, l’Assemblée nationale a entériné un reporting "de compromis" soutenu par le gouvernement.
Certes public, il n’est applicable qu’aux entreprises dont le chiffre d'affaires annuel est supérieur à 750 millions d'euros, comme l'a proposé la Commission européenne le 12 avril. Néanmoins, ce seuil sera abaissé progressivement à 500 millions puis à 250 millions d'euros, respectivement deux ans puis quatre ans après l'entrée en vigueur du dispositif. Celui-ci sera applicable au lendemain de l’entrée en vigueur de la directive du Parlement européen et au plus tard au 1er janvier 2017, avec une clause de revoyure en 2020.
Ce reporting, qui consiste à rendre accessibles au grand public des données sur l'activité des entreprises (nombre de salariés, chiffre d'affaires, impôts sur les bénéfices, etc.), s’applique aux entreprises qui ont une activité dans les pays de l’Union européenne. Hors UE, le périmètre est élargi aux entreprises ayant un nombre minimal de filiales (fixé par décret) dans un pays inscrit sur la liste de paradis fiscaux, qui reste à établir au niveau européen.
Les ONG – CCFD-Terre Solidaire, ONE, Oxfam France et Peuples Solidaires-ActionAid France – déplorent une "une usine à gaz inopérante". "Un seuil ne serait-ce qu’à deux filiales minimum reviendrait par exemple à exclure du reporting de Total 37 pays sur les 98 pays d’implantation du groupe. Pire encore, si le seuil était fixé à 5 filiales, 52 pays sur 67 seraient exclus du reporting de l’Oréal. En acceptant de conditionner ainsi le reporting pays par pays public, les députés cèdent aux pressions des intérêts privés au détriment d’une transparence fiscale qui aurait constitué un outil clé dans la lutte contre l’évasion fiscale."
Par ailleurs, les députés ont adopté un amendement qui oblige toutes les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 millions d'euros (contre 750 millions d’euros tel que fixé dans la loi de finances rectificative 2016) à reporter auprès du fisc à compter de 2020.
Rémunération des dirigeants
Autre sujet attendu, celui de la rémunération des dirigeants. Les députés ont rendu le vote des actionnaires contraignant après la polémique autour de la rémunération du patron de Renault rejetée par ses actionnaires. Désormais, seront concernés par le vote contraignant de l’assemblée générale (AG) les "éléments de rémunération d’activité" et "avantages de toute nature liés à l’activité" des présidents, directeurs généraux ou directeurs généraux délégués.
Mais tous les amendements déposés pour encadrer davantage les salaires ont été rejetés. Parmi eux, celui de la députée socialiste Karine Berger, cosigné par 74 députés PS, visait à plafonner la part variable des rémunérations patronales au niveau de leur part fixe.
Justice transactionnelle
La transaction pénale, retoquée par le Conseil d’État, est remplacée par une "convention judiciaire d’intérêt public". Elle permet aux entreprises soupçonnées de corruption de payer une amende (dans la limite de 30% de son CA) afin d’éviter un procès, comme c’est le cas aux États-Unis. Celles-ci devront également se soumettre à un programme de mise en conformité de leurs procédures de prévention et de détection de la corruption et du trafic d’influence, pour une durée maximale de trois ans.
Michel Sapin, le ministre des Finances, insiste sur trois critères pour que cette mesure soit un succès : elle ne peut s’appliquer qu’aux seules personnes morales ; le juge devra estimer si le dispositif est équilibré ; et la décision sera publique.
Encadrement des pratiques de lobbying
Les députés ont approuvé la création d’un répertoire des représentants d’intérêts, même occasionnels, géré par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il est ainsi entériné que les lobbyistes sont des "personnes morales dont l’activité principale ou accessoire a pour finalité d’influer, pour leur compte propre ou celui d’autrui, sur la décision publique".
Devront s’enregistrer les représentants d’intérêts qui souhaitent rencontrer des ministres et leur cabinet, des parlementaires et leurs collaborateurs, des élus locaux, des hauts fonctionnaires, certains fonctionnaires territoriaux, mais aussi le président de la République, les membres du Conseil constitutionnel et les membres des sections administratives du Conseil d'Etat.
Tous les six mois, ils devront adresser à la Haute autorité (HATVP) des bilans de leur activité, dont le montant des dépenses et du chiffre d'affaires associés ainsi que leurs principales sources de financement. Ils devront aussi divulguer le nom de leurs clients et les sources des documents qu'ils produisent. Si un lobbyiste ne respecte pas ces obligations, la HATVP pourra lui infliger une amende de 50 000 euros.
Protection des lanceurs d’alerte
Après le scandale récent des Panama Papers, mais aussi des Luxleaks, les députés ont adopté un cadre protecteur des lanceurs d’alerte et en ont précisé la définition. "Un lanceur d’alerte est une personne qui révèle ou témoigne, dans l’intérêt général et de bonne foi, d’un crime ou d’un délit, de manquements graves à la loi ou au règlement, ou de faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l’environnement, la santé, ou la sécurité publiques". Il exerce par ailleurs son droit d’alerte "sans espoir d’avantage propre ni volonté de nuire à autrui". Après de vifs débats, les éléments relevant du "secret de la défense nationale", du "secret médical" et du "secret entre l'avocat et son client" ont été exclus, à la demande du gouvernement.
Par ailleurs, les entreprises de plus de 50 salariés, les communes de plus de 3 500 habitants et les établissements publics de coopération intercommunale devront "mettre en place des procédures internes appropriées" pour recueillir les alertes émises par leurs salariés. S'il n'y a pas de prise en compte de l'alerte par ces instances ou s'il y a urgence caractérisée, il sera considéré comme légitime de rendre cette information publique en informant par exemple les médias, précise le texte.
Enfin, un lanceur d’alerte licencié pourra saisir les Prud’hommes pour obtenir son maintien dans l’entreprise ou le maintien de son salaire jusqu’au prononcé du jugement. Idem pour un agent public devant le tribunal administratif. Le fait d’entraver une alerte est puni d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, mais la sanction peut monter à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende si l’entrave est concertée et accompagnée de faits de violence. Le lanceur d’alerte pourra solliciter une aide financière auprès du Défenseur des droits, sous forme d'une avance de ses frais de justice.
Création de l’Agence française anticorruption
Baptisée "agence française anticorruption" (AFA), elle sera chargée de contrôler la mise en place de programmes anti-corruption dans les entreprises de plus de 500 salariés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros. En cas de manquement à cette obligation de vigilance des entreprises, une commission des sanctions pourra leur infliger une amende pouvant aller jusqu’à un million d’euros.
Le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi aura lieu le mardi 14 juin, après les questions au Gouvernement.